Gestion des entreprises

L’ère des leaders modernes est arrivée

Vous êtes sous l’emprise d’un patron tyrannique et menteur ? Il y a de l’espoir. Un vent de changement souffle sur les milieux de travail et pousse les gestionnaires à devenir plus conscients et authentiques. C’est ce que soutiennent des chercheurs réunis plus tôt ce mois-ci au congrès de l’Association francophone pour le savoir, à l’Université McGill. La grande question : comment devenir ce patron idéal ?

Pourquoi faut-il changer les façons de gérer les entreprises et les institutions ?

« Après la corruption et la collusion, on est de plus en plus critique et exigeant envers les dirigeants, affirme Alain Héroux de l’Université du Québec à Chicoutimi, coorganisateur du colloque sur le leadership conscient et authentique. Les gens sont malheureux, épuisés et tannés de se faire dire n’importe quoi. On est dans un monde où on veut des leaders qui sont vrais, courageux, inspirants et capables de faire preuve d’humanité. Ça passe par un leadership authentique. »

« On est encore dans une dynamique d’une personne toute puissante et non d’une personne qui rend les gens autour d’elle plus forts, explique le coorganisateur Charles Baron, professeur à la faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval. Mon intuition, c’est qu’on arrive au bout du “command and control”. »

« On était dans une aire dictée par la croissance, la compétition, la gestion par la peur, la mobilisation par la peur, explique Rémi Tremblay, fondateur de la Maison des leaders qui accompagne les dirigeants de tous horizons. Les gestionnaires disaient : “Si tu ne performes pas, tu vas perdre ton emploi. On va transférer la production ailleurs.” On voit les conséquences qui en découlent sur l’environnement et la détresse psychologique. Il faut quitter le mode de la sélection naturelle pour la collaboration. »

Qu’est-ce qu’un leadership conscient et authentique ?

« C’est agir de façon cohérente et transparente avec ses valeurs, explique Alain Héroux, qui a suivi huit gestionnaires durant un an dans le cadre de ses recherches. Pour obtenir ça, ça prend un développement de la conscience. Le leader doit devenir présent ici et maintenant. Il développe l’ouverture face aux autres, le respect des gens, une écoute attentive, la bienveillance envers les autres. C’est un dirigeant qui est connecté avec le bien-être des employés et qui en même temps peut dire qu’il faut atteindre des objectifs. »

« C’est de ne pas accepter aveuglément les conventions, affirme Charles Baron. Dans une organisation, il y a des cultures organisationnelles qui encouragent certaines valeurs de fond et, en général, on va s’aligner là-dessus. Ça simplifie la communication et les modes d’opérations. Mais en contrepartie, il y a des choses qu’on ne s’autorise pas. Un leader authentique va déroger aux conventions ambiantes pour faire ce qui semble plus juste dans une situation. »

« Le leader authentique est pareil dans toutes les sphères de sa vie. Il n’a pas de masque. C’est pour ça qu’on lui fait confiance, soutient Geneviève Desautels, chargée de cours à l’École des hautes études commerciales. Les employés veulent qu’on mette à profit l’intelligence collective. Le dirigeant ne doit pas se sentir menacé et dire : “Toi, tu fais le travail chaque jour, c’est quoi tes idées là-dessus ?” Mon employé en sait plus que moi, est-ce qu’il va prendre ma job ? Non. Mon employé sait d’autres choses que moi et moi, je suis solide dans mon rôle de leader. »

Avec son humanisme, ses qualités d’écoute et de bienveillance, le leader conscient et authentique semble sortir tout droit d’un film de Disney. Existe-t-il vraiment ?

« Justin Trudeau incarne ce type de leadership, affirme Charles Baron. On sent son humanité. Les gens se sentent inspirés par son approche plus invitante, plus dans une logique de partenariat, plus centrée sur les besoins des laissés pour compte. On peut citer aussi Alexandre Taillefer, le gériatre social Stéphane Lemire et le Dr [Gilles] Julien. »

« Dans les grandes organisations, on organise des formations pour les leaders, explique Geneviève Desautels. J’ai actuellement un mandat chez Transcontinental qui vise plus d’authenticité. Ubisoft en a fait, Raymond Chabot et l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. »

Comment devenir ce leader inspirant ?

Il y a trois universités qui intègrent le concept dans leur formation : Laval, Sherbrooke et l’UQAM. Selon Charles Baron, qui a créé un microprogramme dans lequel on retrouve, entre autres, la pleine conscience et la communication non violente, il n’y a pas de recette miracle.

« On a tendance à croire que l’authenticité, c’est être fort en gueule et dire ce qu’on pense plus fort. Là-dessus, il y a de l’incompréhension qui est dangereuse. Être authentique, c’est être vrai tel que l’on est dans l’instant. Si face à une situation je reste sans voix, je suis authentique dans le fait d’être sans voix dans l’instant. »

« Il faut développer la conscience de soi, explique Geneviève Desautels qui fait de l’accompagnement de gestionnaires et d’entrepreneurs. La méditation est un des bons outils. Mais ça peut être le yoga, le jogging, lire un bon livre. Il faut être capable d’exercer le mental à focaliser sur une chose. D’avoir une activité qui permet d’être bien dans un monde d’interruption. »

« À la Maison des leaders, on organise des rencontres avec des humanistes plus conscients que nous comme Hubert Reeves et Matthieu Ricard, raconte Rémy Tremblay. Une des démarches, c’est d’apprendre à passer du débat au dialogue. Au lieu de chercher à convaincre, chercher à comprendre. Il faut être humble et se dire : “Je n’ai pas réussi à passer l’idée, mais j’ai contribué à ce que la meilleure idée s’impose.” »

Est-ce accessible à tous les gestionnaires ?

Oui, mais il faut vouloir changer, affirment les spécialistes. Les formations techniques ne sont pas efficaces si les gestionnaires ne travaillent pas sur eux-mêmes.

Des leaders conscients et authentiques

Lisa Fecteau, présidente, Regitex

« J’ai voulu changer les choses à cause de mon mécontentement face au milieu de travail. J’ai éveillé ma conscience à d’autres visions. Aujourd’hui, ça m’apporte un bonheur personnel et professionnel. La répercussion sur les employés est positive. L’entreprise fait libérer leur créativité. C’est notre responsabilité comme leader de faire éclore le potentiel des employés. »

Des leaders conscients et authentiques

Simon De Baene, président, GSoft

« Je veux changer le monde du travail. Mettre de l’avant des humains, c’est comme ça que la gestion d’une organisation devrait se faire. On gagne en bonheur intrinsèque des gens et en productivité au travail. C’est économiquement très bon et socialement très bon. Ma façon de gérer est basée sur la confiance. Et si la confiance se brise plus loin, on corrigera rendu là. »

Des leaders conscients et authentiques

Cendrine Cartégnie, présidente, Synertek

« Je n’ai pas de problème avec ma vulnérabilité. Si je me trompe, je le dis. Ça m’arrive d’avoir de la peine et d’avoir peur. Il y a des jours où je ne voudrais pas rentrer travailler et mes employés le savent. Cet aspect de vulnérabilité permet aux employés de l’être aussi. J’essaie aussi d’aplanir la hiérarchie pour qu’elle soit le plus absente possible. »

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