Chronique

Le plaisir (enfin) déculpabilisé

Je n’ai pas de plaisirs coupables. Je n’ai que des plaisirs. Point à ligne. Pourquoi faudrait-il se sentir mal d’aimer Barmaids (salut Carolane !) ou la dernière chanson de Shakira (Chantaje !) quand leur écoute nous infuse une dose de bonheur instantanée ?

Au nom de quel principe judéo-chrétien faudrait-il renoncer à ce qui nous décroche des sourires ou nous extirpe de notre quotidien pendant 4, 30 ou 60 minutes ?

Assumons donc nos goûts hétéroclites et rembarrons l’intelligentsia qui regarde de haut ces produits de culture populaire jugés bas de gamme.

Oui, c’est possible d’apprécier à la fois une quotidienne pimentée d’Occupation double – laissez Élodie tranquille, bon ! – et une série dense et lourde comme The Night Of de la chaîne HBO.

Ce n’est pas incongru d’entendre, sur la même liste de lecture musicale, du Beyoncé, du Émile Bilodeau et même la chanson Fou d’Andréanne A. Malette, qui aurait dû apparaître parmi les finalistes au prochain gala de l’ADISQ.

C’est toujours rafraîchissant d’entendre un artiste reconnu comme Xavier Dolan confesser son amour pour la télésérie Diva, le film d’horreur It ou la superproduction Titanic. Cette jeune génération est complètement décomplexée dans ses goûts culturels. Et contrairement à leurs collègues plus âgés, les Dolan n’ont pas peur d’être taxés de quétainerie ou d’inculture parce qu’ils naviguent aisément entre la culture pointue et celle plus pop.

Sur Twitter et Instagram, Xavier Dolan a même écrit que It était son film préféré du siècle actuel, que cette production respectait l’intelligence de son public, tout en lui procurant du plaisir parfaitement assumé, dépouillé de toute forme de culpabilité. Rien de moins.

Et vous savez quoi ? Ce vibrant plaidoyer m’a convaincu de me visser dans un immense fauteuil du cinéma Banque Scotia pour tester ma peur des clowns démoniaques. Dolan avait raison. It est un maudit bon film, qui intègre judicieusement des éléments de Stranger Things, de Stand By Me et de Poltergeist. C’est à voir.

Être snob passe beaucoup moins bien aujourd’hui qu’à l’époque de La bande des six, je trouve. Quand je suis entré à la section culturelle de La Presse, admettre aux collègues qu’on suivait Star Académie ou Loft Story nous valait quasiment un exorcisme in situ sur une trame musicale de Leonard Cohen. On va le ramener sur le droit chemin celui-là, il n’est pas trop tard pour le réchapper ! Forcez-le à regarder l’intégrale de Krzysztof Kieslowski !

Au fil des ans, je me suis endurci et j’ai appris à ne plus me soucier de ce que les autres pensaient de mes choix. En révélant ma fascination pour Chirurgie botchée ou La vie à 600 livres, je me suis rendu compte que nous formions une importante communauté silencieuse, capable d’affectionner autant Feux qu’Huissiers.

Avant, j’aurais été gêné que le contenu de ma bibliothèque musicale soit exposé publiquement. Parce qu’elle renferme de la pop, du hip-hop, du country et plein de trucs commerciaux (ouache, quel mot horrible !). Aujourd’hui ? Pffft ! M’en sacre. Dans mon top 25 des pistes les plus écoutées, il y a Leave de JoJo, Elastic Heart de Sia, I Don’t Wanna Know de Fleetwood Mac, Little of Your Love de HAIM et The Middle de Jimmy Eat World. Non, Half Moon Run ou The National, que tout le monde adooore, n’y figurent pas.

Cette tendance de mélanger le « high and low » se retrouve également dans les domaines de la mode et de la gastronomie. Un pantalon Zara, un chandail Kitsuné et des Nike aux pieds, on voit ce type de combinaison sur plusieurs comptes Instagram consacrés au style de rue. La modeuse en chef Maripier Morin passe aussi du H & M à Gucci d’un événement public à un autre et c’est rarement laid.

Même chose en cuisine. C’est bon du foie gras, c’est trippant de tâter de la cuisine moléculaire, c’est rassasiant de goûter à de la cuisine nordique sauvage.

Reste que parfois, il n’y a rien de plus satisfaisant qu’une poutine grasse de La Belle Province, arrosée de vinaigre blanc Heinz bien ordinaire, pour se remonter le moral.

Au diable les étoiles Michelin. Vive les plaisirs décoincés.

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