Théâtre  A Raisin in the Sun

Décryptage d’un classique

Aux États-Unis, A Raisin in the Sun (le titre original d’Héritage) est la pièce de théâtre préférée d’une pléiade de célébrités, telles que Denzel Washington, Spike Lee, Beyoncé Knowles, Oprah Winfrey, Sean Combs, Jamie Foxx, sans oublier le plus célèbre couple afro-américain : Barack et Michelle Obama. Pour ces personnalités et pour les membres de leur communauté, l’œuvre de Lorraine Hansberry représente un tournant de la culture noire américaine.

Pour de multiples raisons. D’abord, parce que c’est la première œuvre d’une auteure noire jamais produite à Broadway. Ensuite, parce que Hansberry est la première artiste noire (hommes et femmes confondus) à remporter le prix de la Critique new-yorkaise de la meilleure pièce, en 1959. À 28 ans, elle est alors la plus jeune Américaine à récolter ce prestigieux prix, devançant Tennessee Williams (pour Sweet Bird of Youth) et Eugene O’Neill (Touch of the Poet).

Or, au-delà des honneurs, ce qui fait que cette œuvre est unique, c’est qu’elle est universelle, touchante et intemporelle. Un classique.

Triomphe à Broadway !

Ce 11 mars 1959, le jour où son texte écrit deux ans plus tôt à Chicago est enfin créé à l’Ethel Barrymore Theatre, la jeune Lorraine Hansberry ne se doute pas que la production va connaître un succès éclatant et immédiat : 530 représentations ; une adaptation au cinéma, en 1961 ; une comédie musicale ; une trentaine de traductions ; des productions dans autant de pays.

Maintes fois reprise à Broadway au cours du demi-siècle suivant, A Raisin in the Sun fait partie de la liste des meilleures pièces américaines du XXe siècle, aux côtés des chefs-d’œuvre des Arthur Miller, Tennessee Williams et Eugene O’Neill. Tous les personnages de la pièce sont noirs, sauf un  blanc qui arrive au dernier acte. Ils sont membres d’une famille multigénérationnelle, les Younger. Un clan à la fois uni et meurtri. Ses membres partagent aussi le rêve américain de réussir dans la vie.

À l’époque de la création à Broadway, Nina Simone vient d’avoir son premier succès (A Little Girl Blue) et Martin Luther King publie, à 30 ans, La mesure d’un homme.

Pour la première fois de l’histoire américaine, un siècle après l’abolition de l’esclavage, les Noirs se voient représentés avec vérité et humanité sur la scène d’un grand théâtre national, autrement qu’en valets, en servantes, en jardiniers, entre autres rôles stéréotypés.

Héritage se passe autour de 1950, dans le South Side de Chicago (le même quartier où est née Michelle Obama). L’intrigue raconte un moment décisif dans la vie d’une famille noire et pauvre, les Younger. Toute la famille vit entassée dans un petit appartement, avec des coquerelles en prime. Le fils de 10 ans dort sur le sofa du salon. La mère, veuve, partage sa chambre avec sa fille.

Avec les 10 000 $ de la prime d’assurance vie qu’elle reçoit à la suite de la mort de son mari, Lena Younger rêve de fuir le ghetto et d’acheter une maison neuve. Son fils Walter Lee en a assez de travailler comme chauffeur au service des riches Blancs et veut investir dans un magasin d’alcool. Sa fille Beneatha, idéaliste et féministe avant la lettre, veut poursuivre ses études en médecine. La femme de Walter est enceinte. Elle se demande si elle gardera l’enfant...

Alors que les occasions sont limitées par la ségrégation et la domination blanche, chacun cultive l’espoir de s’en sortir et d’avoir une vie meilleure. Mais à la veille de déménager dans leur nouvelle maison, une crise éclate…

Les belles-sœurs du South Side

La pièce aborde l’amour, le courage et la résilience, la poursuite du bonheur de personnages afro-américains, en majorité des femmes, tiraillés entre le besoin de s’émanciper dans la société de consommation américaine et la préservation de leur identité noire. Il s’agit d’une œuvre phare de la dramaturgie américaine de cette époque, à l’image des Belles-sœurs de Michel Tremblay pour le Québec des années 60.

Or, ce classique du théâtre demeure ignoré du public québécois. En programmant leur nouvelle saison, les codirecteurs de Duceppe, Jean-Simon Traversy et David Laurin, s’en étonnaient, d’ailleurs. « Nous avons programmé la saison 2019-2020 avec l’idée de la rencontre avec l’autre, du désir de tendre la main, d’écouter et de nous intéresser à l’autre, explique David Laurin. Avec Héritage, c’est le besoin de faire jouer et de donner du travail à des comédiens et des artistes de la communauté noire montréalaise. »

« On dit souvent que c’est difficile de dénicher de bons acteurs noirs au Québec. Or, on a passé des auditions pour Héritage, on aurait pu faire trois distributions différentes tellement on avait l’embarras du choix ! »

— David Laurin, codirecteur de Duceppe

Sortir du ghetto

Dans son roman If Beale Street Could Talk, adapté au cinéma en 2018, l’auteur James Baldwin illustre que chaque personne noire aux États-Unis est née dans la rue Beale d’une ville américaine, dans la violence sourde du ghetto d’un quartier ouvrier, que ce soit à Jackson, au Mississippi, ou à Harlem : « Beale Street est notre héritage », écrit-il

Comme c’est souvent le cas avec les génies précoces, Lorraine Hansberry a eu un destin tragique. Le 12 janvier 1965, six ans après le succès de sa pièce à Broadway, elle meurt d’un cancer, à 34 ans. À l’instar de ses parents militants et intellectuels, la dramaturge aura fait œuvre utile pour l’égalité entre les races, la lutte des Noirs et l’avancement des droits de l’homme.

En 2013, Lorraine Hansberry a été intronisée au Temple de la renommée du théâtre américain. Le reste fait partie de l’histoire.

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