Chronique

Cette loi doit vivre

Avant même d’exister, la loi validement votée sur l’aide médicale à mourir est euthanasiée au palais de justice. Ça fait désordre, non ?

Une fois mis de côté le charabia juridique, posons la question : au nom de quoi un juge peut-il empêcher une loi régulièrement adoptée d’entrer en vigueur ?

Bien sûr, les juges sont les gardiens de la Constitution. Bien entendu aussi, c’est au pouvoir judiciaire qu’il revient en dernière instance de dire si une loi est valide – en dernière instance, pas à la première occasion dans les cas douteux !

Il y a tout de même cette chose qui s’appelle le pouvoir législatif. Ces gens, élus, qui votent les lois, censés exprimer démocratiquement la volonté populaire. Et qui, dans le cas précis de l’aide médicale à mourir, l’ont fait d’une très rare et très admirable manière.

Il faut une précaution infinie pour qu’un juge rende inopérante une loi avant même son entrée en vigueur. En vérité, ça n’arrive pratiquement jamais.

Le juge Michel Pinsonnault lui-même nous dit qu’à ce stade très préliminaire, il n’a pas à se prononcer sur « les multiples questions » soulevées. On n’en est pas au « fond » du débat. On est dans une requête d’urgence.

Le juge, dit-il, n’a qu’à se demander si l’entrée en vigueur doit être suspendue « en raison de l’urgence de la situation et du préjudice sérieux et irréparable » que créerait la loi.

Et par la porte d’en arrière, il répond à la question de fond : cette loi prétendument sur les « soins de fin de vie » est du domaine du droit criminel parce qu’en vérité il s’agit d’euthanasie ; et tant qu’on ne l’aura pas changée pour permettre ça, la loi québécoise est inopérante. Point.

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Deux personnes se présentaient devant le juge Pinsonnault. Une femme handicapée, Lisa D’Amico, disait craindre qu’elle soit un jour forcée de vivre en centre d’hébergement avec de mauvais soins et poussée malgré elle à choisir l’euthanasie à cause de la « logique du système ». Tout cela est hypothétique et le juge ne retient pas qu’il y a urgence ou risque de préjudice irréparable dans son cas.

Le juge est davantage préoccupé par le témoignage du docteur Paul Saba. S’il refuse par conscience d’aider son patient à abréger ses souffrances et qu’il ne l’envoie pas à un autre médecin, il craint les sanctions de la loi québécoise. Et s’il le fait, il craint d’être poursuivi pour aide au suicide.

L’article du Code criminel sur la question est pourtant inconstitutionnel et doit être récrit d’ici deux mois par Ottawa ; et le procureur général du Québec – qui applique le Code criminel au Québec – a déclaré qu’il ne poursuivrait pas les médecins à ce chapitre. Mais le juge estime cette déclaration sans valeur. Il pourrait toujours y avoir une plainte privée, par exemple.

Le juge pour autant n’émet aucune injonction. Pourquoi ? Parce qu’il constate une incompatibilité entre la loi du Québec et le Code criminel, qui techniquement interdit toujours le suicide assisté (la Cour suprême donne à Ottawa jusqu’au 6 février pour dicter les conditions qui vont le permettre).

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Tout le monde sait que l’aide médicale à mourir est en terrain constitutionnel délicat. C’est Ottawa qui a compétence pour le droit criminel. Est-ce vraiment un soin médical que d’abréger la vie d’une personne en phase terminale ? On est dans une zone grise. Mais la Cour suprême reconnaissait dans le même jugement cette année que « les deux ordres de gouvernement peuvent validement légiférer sur des aspects de l’aide médicale à mourir, en fonction du caractère et de l’objet du texte législatif » – un passage cité trois fois par le juge Pinsonnault d’ailleurs !

Le nœud du débat est là : est-ce un soin médical ou un suicide assisté ?

Quand il est balisé à l’extrême, c’en est un, dit Québec, puisqu’il ne fait que soulager quelqu’un dont la mort est imminente.

On peut voir les choses par l’autre bout de la mort, pour ainsi dire, et insister sur la fin de vie plus rapide.

Mais on ne peut pas, comme le juge Pinsonnault le fait, affirmer d’urgence que c’est « à première vue » de l’euthanasie et régler le cas préventivement.

Lui-même concède étrangement qu’il n’a pas à cette étape préliminaire à trancher « la question des soins de santé dans le contexte de l’aide médicale à mourir et de l’aide au suicide au sens du Code criminel ».

On peut d’autant moins le faire que la Cour suprême reconnaît un espace législatif en la matière pour les provinces. Et que l’interdiction absolue du suicide assisté dans le Code criminel a été jugée excessive.

Cette loi ne méritait pas d’être liquidée ainsi, même temporairement. Espérons que la Cour d’appel la ressuscitera.

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