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Quand le génie s’implique dans la gestion des services de santé

En août 2012, j’ai reçu la désastreuse nouvelle que ma mère avait un cancer du sein très agressif.

Elle a rapidement été admise au Centre du cancer Segal de l’Hôpital général juif (HGJ), où elle a été prise en charge par une incroyable équipe, dirigée par le docteur Gerald Batist, oncologue et directeur du centre, ainsi que par le docteur Marc Basik, chirurgien oncologue.

Ma mère a immédiatement entamé un traitement de chimiothérapie. Comme j’étais à ses côtés depuis le début – du diagnostic au traitement – , j’ai vécu avec elle chaque étape de ce pénible processus.

Très vite, j’ai réalisé que malgré le fait d’être dans un hôpital, nos temps d’attente étaient étonnamment négligeables. À chaque visite médicale, un patient atteint du cancer doit se soumettre à différentes étapes, et nous passions de l’une à l’autre de manière assez rapide.

Avec le temps, toutefois, le nombre de patients a augmenté et la salle d’attente a commencé à se remplir. Depuis l’ouverture de la clinique en 2006, le nombre de patients traités s’est accru de 7 % par année. Plus récemment, ce chiffre a connu une croissance annuelle d’entre 10 et 20 %. Résultat : les temps d’attente ont augmenté.

C’était décourageant de voir toutes ces personnes assises dans la salle d’attente et les chaises de traitement.

Un jour, après le rendez-vous de ma mère, j’ai expliqué au Dr Batist ce que je faisais en tant qu’ingénieure industrielle, et je lui ai demandé si je pouvais apporter mon aide d’une manière ou d’une autre. L’HGJ a une démarche proactive reconnue pour améliorer l’expérience de ses patients. Ainsi, même si l’hôpital travaillait déjà à résoudre les problèmes actuels, le Dr Batist a accepté mon offre avec joie.

J’ai réuni une équipe, dirigée par mon boursier postdoctoral de l’époque, Samuel Suss (Ph. D), et composée également de Kudret Demirli (Ph. D.) ainsi que d’étudiants du premier cycle et des cycles supérieurs. Ensemble, nous avons établi des partenariats avec trois organismes d’appui : MITACS, le Réseau de cancérologie Rossy et Chronometriq.

Nous avons amorcé nos travaux avec une analyse approfondie des activités du centre. Nous nous sommes concentrés sur les cliniques d’oncologie et d’hématologie, sur la pharmacie d’oncologie et sur le processus de chimiothérapie.

Les opérations du centre sont soumises à de nombreux facteurs : types, stades et grades de cancers et de traitements, diversité des patients, de leurs antécédents de santé et de leurs réactions aux traitements, ainsi que variabilité des trajets que les patients peuvent emprunter. Il s’agit clairement d’un système très complexe.

Nous avons tout d’abord examiné le transfert d’information lors des étapes clés du processus. L’idée était de s’assurer de contrôler les flux afin de réduire le plus possible les temps d’attente.

Nous avons constaté que les retards s’accumulaient principalement lors de la validation des prescriptions par le pharmacien. En fait, dans 33 % des prescriptions, des exceptions entraînaient une interruption du travail pendant plus de 20 minutes. Dans la plupart des cas, le pharmacien devait contacter le médecin pour résoudre le problème.

Par conséquent, une meilleure coordination entre les médecins et les pharmaciens – notamment en rendant plus exhaustifs les modes opératoires normalisés, les modèles de traitement et les méthodes de consultation rapide – permettrait d’éliminer en grande partie les interruptions. En fait, rien qu’en réduisant de 10 % les interruptions du flux de travail, nous pourrions diminuer de 21 % les temps d’attente.

Nous avons ensuite travaillé à réduire les temps d’attente des patients en planifiant leur ordre et leur taux d’arrivée à la clinique.

Pour ce faire, nous avons exploré tous les chemins possibles qu’un patient peut prendre une fois à la clinique. En utilisant des données recueillies et des données historiques, ainsi que des observations poussées des opérations de la clinique et des différentes étapes du processus, nous avons créé un modèle de simulation.

Nous avons par la suite développé un algorithme permettant de générer un calendrier de rendez-vous pour n’importe quelle combinaison de trajectoires du patient pour un jour donné. Nous avons ainsi pu faire correspondre le taux d’arrivée des patients aux étapes clés du processus avec la capacité de ces étapes durant toute la journée. L’utilisation de l’algorithme de calendrier de rendez-vous permet à lui seul de réduire de 25 % la moyenne pondérée d’attente des patients par trajectoire.

En combinant ces deux améliorations, la réduction totale des temps moyens d’attente atteint 44 %.

Le génie industriel consiste en grande partie à optimiser les processus et les systèmes. C’est pourquoi nous avons appliqué différentes méthodes de cette discipline, comme la cartographie de la chaîne de valeur du début à la fin du processus de traitement, les études de temps ainsi que l’analyse statistique pour étudier notre système.

Ces méthodes de génie industriel offrent un grand potentiel d’amélioration de la qualité des services de soin de santé et de réduction des coûts de fonctionnement. En outre, nos travaux sont transférables à d’autres systèmes de soins de santé offrant des services comparables dans un environnement similaire.

Tandis que leurs allocations budgétaires diminuent, les hôpitaux du Québec font face à une pression accrue pour répondre à l’évolution des besoins dans le traitement du cancer. Il est crucial de trouver des solutions, car un Canadien sur quatre mourra du cancer, selon le rapport statistique sur le cancer du gouvernement fédéral pour 2017. Réduire les temps d’attente pour les soins du cancer marque un premier pas dans la diminution de la pression que subissent tant les patients que les hôpitaux.

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