Chronique

La fin du laisser-mordre (2)

Hier, j’ai confessé une erreur d’appréciation dans mes chroniques du printemps sur les chiens de type pitbull : non, ils ne sont pas les seuls à pouvoir mordre et blesser de façon catastrophique. D’où le besoin de cibler les chiens dangereux.

Je commence cette chronique en confessant une autre erreur d’appréciation : citant des études scientifiques interdisant les pitbulls dans des municipalités du Manitoba et dans des régions espagnoles, j’ai écrit à l’époque que ces interdictions fonctionnaient, qu’elles faisaient baisser les morsures…

C’est vrai… Mais c’est incomplet. Je m’explique.

Dans son reportage sur les pitbulls à Découverte le 11 septembre dernier, la journaliste Bouchra Ouatik cite Felicia Trembath de l’Université d’Arizona, chercheuse en santé publique qui s’est penchée sur l’efficacité des règlements et des lois qui ciblent des races de chiens en particulier.

Or, pour analyser l’efficacité de ces mesures d’interdiction de races canines – aussi connues sous le terme de BSL, pour Breed Specific Legislation –, la chercheuse n’a recensé en tout et pour tout que… cinq études scientifiques.

Pour donner un ordre de grandeur, le consensus scientifique sur la cause principale du réchauffement climatique (l’activité humaine) s’est dégagé à la faveur de près de 12 000 études scientifiques publiées entre 1991 et 2001… 12 000 !

Donc, toujours selon la professeure Trembath, deux des cinq études (Manitoba et Catalogne) montrent que ces règles qui ciblent certaines races font baisser les morsures. Les trois autres, non.

Ici, les lobbys pro-pitbulls diront : « Yé, on gagne la game 3 à 2 ! » Ce sera évidemment réducteur : malgré l’abondance d’endroits dans le monde qui ont banni certains types de chiens jugés potentiellement dangereux, il n’y a pas abondance d’études scientifiques rigoureuses sur l’efficacité de ces mesures.

Donc, affirmer que l’administration Coderre agit de façon non scientifique en ciblant une race en particulier, parmi un train de mesures, je dis ceci : foutaise.

Les règlements comme ceux de Montréal ne font pas l’objet d’un consensus scientifique quant à leur efficacité parce que la science existante sur le sujet est incomplète et éparse.

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Ensuite, au-delà des études scientifiques, il y a bien sûr des statistiques brutes qui sont utiles mais – pour le moment – incomplètes.

Un exemple : l’Ontario, qui a interdit les pitbulls en 2005, sur un modèle similaire à celui que Montréal veut implanter. À Toronto, depuis 2005, le nombre de morsures s’est maintenu au fil des ans. On pourrait penser que c’est la preuve que cette loi n’a rien changé… Sauf qu’à Toronto, de 2005 à 2013, la population de chiens enregistrés aurait doublé, selon le Toronto Star : dans les faits, il y aurait donc moins de morsures.

Ajoutez à cela que dans 9 des 19 études scientifiques citées par la journaliste Bouchra Ouatik de Découverte dans le volet web (4) de son reportage, les pitbulls se retrouvent dans le top 3 des chiens mordeurs étudiés, y compris dans les deux plus récentes (2009 et 2015).

Dire que le pitbull ne mord absolument pas plus qu’un autre chien, c’est audacieux. Il faut vraiment être du genre à se dire « papa » ou « maman » d’un pitbull pour afficher ce genre de foi aveugle.

Les pitbulls québécois, selon un éleveur cité dans Découverte, sont majoritairement issus d’usines à chiots, où les standards de qualité sont déficients, ce qui affecte leur tempérament. Le lobby des pitbulls n’est pas trop disert sur cet aspect du topo de Découverte.

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J’apprends en écrivant ces lignes que la Cour supérieure a suspendu temporairement des articles du règlement municipal sur les chiens dangereux. Je le disais hier : j’ai confiance dans la sagesse des tribunaux, et si la Ville de Montréal a mal rédigé certaines dispositions de son règlement, le maire Coderre devrait redoubler d’ardeur et de minutie pour accoucher d’un règlement amendé qui se conformera aux lois en vigueur tout en assurant la fin du laisser-mordre.

Québec pourra aussi se servir de cette mise en garde du tribunal pour mitonner la loi provinciale à venir, en se rappelant que la Cour suprême du Canada a avalisé la loi ontarienne sur les pitbulls. Les provinces ont plus de latitude que les villes pour agir sur les chiens dangereux.

(Permettez un aparté : il y a quand même quelque chose de fabuleux à voir les amis des pitbulls poser avec leurs pitbulls sur Facebook, défendre les pitbulls dans des manifestations, parler de génocide des pitbulls et… plaider qu’il est quasiment impossible de déterminer ce qu’est un pitbull. Un lobby est toujours détestable, mais sourions : l’ironie, c’est le ketchup de la vie.)

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Oublions les pitbulls, une seconde.

Après ma chronique d’hier, j’ai été inondé de messages de gens tannés du laisser-mordre, de gens qui ne sont pas fédérés par des lobbys. Ils ne jappent pas comme les amis des pitbulls, mais ils sont là. Contrairement à Cindy Lauper, ils votent et vivent ici et, Monsieur le Maire, ils vous appuient.

Depuis le printemps, je ne compte plus le nombre de témoignages de Québécois excédés par le peu de recours à leur disposition, quand ils signalent des chiens au comportement dangereux. Trop souvent, appeler la police parce qu’un molosse en liberté illégale court (gentiment, bien sûr, « il est pas méchant » !) après des enfants dans un parc ou dans une ruelle, c’est participer à la conversation débile suivante : 

— Le chien a-t-il mordu ?

— Non.

— On ne peut rien faire.

Bref, je pense que je peux vivre avec une loi et des règlements qui ne ciblent pas précisément les pitbulls si on me prend au sérieux quand je signale le comportement dangereux d’un chien de mon voisinage. Ce n’est pas le cas présentement, pas encore.

Pitbulls

Le sursis est reconduit

La suspension du règlement sur les chiens de type pitbull est prolongée, a tranché le juge de la Cour supérieure Louis J. Gouin, hier après-midi. Ce sursis, dû à certains aspects litigieux du règlement, sera en vigueur jusqu’à ce que l’affaire soit entendue sur le fond et qu’une décision finale soit rendue. La SPCA soutenait que le règlement était discriminatoire, vague, imprécis et inapplicable. Dans sa décision, le juge laisse entendre que certains aspects du règlement doivent être précisés et que la Ville doit s’assurer qu’il n’est pas inconciliable avec la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal. Dans une lettre envoyée à La Presse, le maire de Montréal Denis Coderre exprime sa déception et affirme son intention d’en appeler de la décision.

— Christiane Desjardins et Louis-Samuel Perron, La Presse

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