Danse

Dans l’univers de Monsieur Gaga

Charismatique gourou de la danse contemporaine israélienne, Ohad Naharin sera à l’honneur cette semaine à Montréal. À l’invitation de Danse Danse, le directeur artistique de la Batsheva Dance Company présentera à partir de jeudi sa plus récente création, Last Work, sur la scène du Théâtre Maisonneuve, alors que Mr. Gaga, sur les pas d’Ohad Naharin, documentaire qui lui est consacré, sera projeté au Cinéma Beaubien. Un atelier de danse « Gaga People » sera également offert afin de permettre aux non-initiés d’expérimenter la fameuse technique mise au point par Ohad Naharin. Retour sur sa carrière toujours en mouvement.

L’HOMME DERRIÈRE LE CHORÉGRAPHE

Ami de longue date d’Ohad Naharin, le documentariste Tomer Heymann aura attendu de nombreuses années avant que le chorégraphe ne l’autorise à pénétrer dans les studios de la Batsheva Dance Company, pour ne plus les quitter pendant près de huit ans. Mr. Gaga, sur les pas d’Ohad Naharin compile ainsi entrevues, images de répétitions et archives filmées au caméscope, à la découverte du chorégraphe charismatique parfois colérique, mais surtout de l’enfant du kibboutz, de l’amoureux et du père. Danseur sur le tard, Ohad Naharin intègre la troupe artistique de l’armée israélienne en pleine guerre du Kippour. Il est remarqué par Martha Graham, cofondatrice de la Batsheva Dance Company, et rejoint sa compagnie à New York. 

À 22 ans, il suit pour la première fois des cours de danse, simultanément à Juilliard et à l’American Ballet. Tombé sous le charme du jeune interprète autodidacte, Maurice Béjart l’invite à rejoindre les rangs de sa compagnie avec laquelle il ne dansera qu’un an. « La pire année de ma vie », précise Ohad Naharin dans le documentaire. Le chorégraphe en devenir décide alors de réaliser ses propres projets avec de prodigieux danseurs, dont l’étoile Mary Kajuwara, muse d’Alvin Ailey, avec qui Ohad Naharin va vivre une passionnelle histoire d’amour, tant sur le plan personnel que professionnel. 

À 38 ans, il devient le chorégraphe en résidence de la Batsheva Dance Company en Israël et ne cessera plus de connaître le succès. Le film de 90 minutes de Tomer Heymann permet de mieux saisir le charismatique personnage qu’est Ohad Naharin, mais aussi l’engagement politique de ce dernier, toujours aussi vif aujourd’hui face à l’enlisement du conflit israélo-palestinien.

LAST WORK

Un des plus éclatants coups de gueule d’Ohad Naharin remonte à 1998 alors que l’État d’Israël célébrait ses 50 ans. Le chorégraphe devait présenter pour l’occasion Echad mi yodea dans le cadre des cérémonies officielles. Convoqué par le bureau du premier ministre, on lui suggère fortement que ses danseurs adoptent une tenue décente pour éviter de choquer les religieux orthodoxes. Menaçant de démissionner, le chorégraphe et ses danseurs refusent de monter sur scène dans de telles conditions. Ohad Naharin devient alors un véritable héros culturel. Un engagement politique toujours aussi vivant aujourd’hui chez le chorégraphe dont le titre de la plus récente création, Last Work, n’est pas sans lien avec son opposition au gouvernement Nétanyahou et sa ministre de la Culture, Miri Regev.

« Je voulais intituler mes trois dernières créations Last Work. J’ai toujours changé d’idée, mais pas cette fois. Je crois que je voulais apporter une dimension dramatique avec ce titre, sans pour autant dévoiler quoi que ce soit, indique-t-il en entrevue avec La Presse. En ce sens, c’est un bon choix. Je vis dans un pays où beaucoup de choses peuvent arriver avec un gouvernement très irresponsable, qui peut créer de graves situations qui feront en sorte que ce soit ma dernière création. Je peux aussi me faire virer ! », lance-t-il en riant.

Avec Last Work, Ohad Naharin s’est permis pour la première fois de mettre de côté l’improvisation qui se trouve au cœur de son processus de création avec ses interprètes.

« Pour Last Work, on devait créer immédiatement une forme claire. J’ai donné aux danseurs trois images, un bébé, une ballerine et un bourreau, et ils devaient choisir laquelle ils allaient incarner », explique le chorégraphe.

LE LANGAGE GAGA

Au-delà des pièces acclamées par la critique aux quatre coins du monde, Ohad Naharin est également reconnu pour sa méthode d’enseignement unique en son genre appelée « Gaga », en référence aux premiers babillements d’un bébé. L’actrice Natalie Portman a d’ailleurs suivi des ateliers Gaga pour préparer son rôle dans le film Black Swan.

C’est une blessure qui mènera le chorégraphe à créer il y a 10 ans cette technique mise au point comme une boîte à outils qui permet de repousser les limites de ce que le corps peut ressentir et exprimer. Le Gaga est ainsi un langage que le chorégraphe a élaboré pour mieux communiquer avec ses danseurs et leur permettre de connecter effort et plaisir. « J’avais besoin de prendre soin de leur corps et du mien. Il faut écouter son corps avant de lui dire quoi faire », explique-t-il à La Presse.

Les ateliers Gaga s’adressent également au commun des mortels et sont même utilisés dans le cadre de l’art-thérapie avec des enfants handicapés ou des personnes atteintes du parkinson. Appelés « Gaga People », ils ressemblent beaucoup aux ateliers destinés aux danseurs. « Écouter son corps avant de lui dire quoi faire. Cela permet de se connecter au spectre des sensations, de repousser les limites familières, le plaisir de la découverte. Une personne qui n’a jamais dansé auparavant peut elle aussi utiliser la force de la gravité ou essayer de transformer l’anxiété en pouvoir explosif. On peut offrir quelque chose à des gens qui n’ont aucune ambition de monter sur scène. C’est sans doute une des expériences les plus enrichissantes pour moi. Ça m’a beaucoup appris sur ce dont on a besoin, qu’on soit danseur ou non, sur comment on repousse les limites de notre corps au quotidien », précise Ohad Naharin qui croit au pouvoir de la danse dans le processus de guérison.

Il sera possible de participer à un atelier Gaga à Montréal, samedi prochain, dans les studios de la Compagnie Marie Chouinard avec Laura Toma, seule instructrice certifiée de Gaga au Canada. « Pas besoin d’avoir déjà suivi un cours de danse. Bien au contraire. Il s’agit de faire l’expérience du mouvement et de son corps différemment. Il ne faut avoir aucune attente et surtout aucun jugement sur soi-même », précise Laura Toma.

« Il y a deux règles de base : aucun miroir dans le studio et tout le monde dans la salle doit participer. Le Gaga est basé sur l’improvisation. Les gens doivent s’écouter, utiliser leur lampe de poche intérieure pour éclairer des zones inconnues ou dans l’ombre depuis très longtemps. C’est l’occasion de se connecter à tous ses sens, ses fantaisies, sa folie et à son animalité », conclut l’instructrice.

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