Grande entrevue Éric Duhaime

Le dernier gai ? Vraiment ?

Tout a commencé avec une salade de quinoa il y a un peu plus d’un an. J’étais dans un bureau du FM93 à Québec pour une entrevue avec Nathalie Normandeau. À l’époque, elle coanimait l’émission du midi avec Éric Duhaime. Ne le voyant pas dans les parages, j’ai demandé à Normandeau où il était.

« Éric nous prépare une salade de quinoa pour ce midi », m’a-t-elle répondu, expliquant qu’en raison de leur case horaire, les deux préparaient en alternance le repas du midi, mais que les meilleurs repas, c’est Duhaime qui les cuisinait. « En passant, Éric est gai. Vous le saviez, n’est-ce pas ? »

Non, je ne le savais pas.

Plus tard, en parlant à Duhaime du quinoa, je lui ai demandé si je pouvais écrire qu’il était gai puisque tout le monde semblait au courant. Sa réponse fut catégorique : « Absolument pas ! C’est ma vie privée et ça ne regarde personne. »

Forcer les gens à sortir du placard n’est pas mon genre. Je n’ai donc pas écrit qu’Éric Duhaime était gai. Mais j’ai écrit qu’il cuisinait une excellente salade de quinoa et que c’était étonnant de la part d’un macho et grand adorateur de Monsieur Burger lui-même en personne : Stephen Harper. C’était une façon détournée d’exprimer mon étonnement face à une orientation sexuelle que je ne lui connaissais pas et qu’il m’avait interdit de révéler. Duhaime le savait pertinemment, mais au lieu de me remercier de ma discrétion, il a sorti sa proverbiale mauvaise foi en ondes, m’accusant de nourrir les pires préjugés au sujet de la droite. Je l’avais protégé, et tout ce qu’il trouvait à faire, c’était m’attaquer ! Ça, c’est Éric Duhaime tout craché.

Je le retrouve 17 mois plus tard, attablé devant son ordi dans un café montréalais. De loin, il ressemble à un étudiant straight et studieux enfermé dans sa bulle. De près, il est pâle, amaigri et les traits et tirés par une semaine mouvementée où il a été la cible de vives critiques de la communauté gaie. Ce n’est pas tant sa sortie du placard à l’âge de 47 ans qui en a été la source que la parution d’un manifeste où il clame que le combat des gais est terminé, que tous les droits ont été gagnés et que le lobby gai, qui exploite un discours victimaire pour obtenir plus de subventions, n’a plus lieu d’exister. Voilà en gros le postulat d’un livre dont le titre ne laisse rien à l’imagination : La fin de l’homosexualité et le dernier gay.

« Le dernier gay au sens où j’espère être le dernier à faire un coming out. Pour moi, être gai, ça se résume à des pratiques sexuelles. C’est tout. Ce n’est pas plus grave ou plus important que cela. » 

« Pour le reste, je suis un tas d’autres choses qui n’ont rien à voir avec le fait que je suis gai ou non. C’est pourquoi je refuse d’être défini uniquement par mon orientation sexuelle. »

— Éric Duhaime

Dans l’esprit presque trop optimiste d’Éric Duhaime, le Québec est le paradis des gais, une terre où l’homophobie a été éradiquée, où le droit de se marier comme de s’embrasser dans la rue est un acquis irréversible, en ville comme en région. « Ça m’étonnerait que tu trouves de l’homophobie dans un rang en Beauce », plaide-t-il.

Le sida ? Il n’en parle pas. La trithérapie qui crée un sentiment de fausse sécurité chez les jeunes gais et les pousse à moins se protéger ? Il n’en parle pas non plus. L’intimidation des jeunes gais à l’école ? « Oui, les jeunes gais peuvent subir de l’intimidation à l’école, mais comme les grosses, les boutonneux, les Noirs et les handicapés. L’adolescence est une période difficile pour tous ceux qui sont différents, mais on y survit. Je ne nie pas qu’il y ait des jeunes gais qui se suicident, mais je pense sincèrement que l’écrasante majorité a une enfance qui ressemble plus à la mienne qu’à celle de Jasmin Roy », lance-t-il dans la cabine au milieu du café où nous avons trouvé refuge. Pourtant, en y prenant place, la première chose qu’Éric Duhaime m’a dite, c’est d’y aller mollo, qu’il était fragile.

Fragile ? Lui qui affirme que toutes les batailles sont gagnées et qu’il n’y a plus lieu de s’indigner ? Lui qui en a ras le bol des gais qui pleurent et qui se plaignent de leur triste sort ? Peut-être leur ressemble-t-il plus qu’il ne le croit…

Son livre est dédié aux hommes de sa vie, depuis Hugo, son premier chum, jusqu’à son actuel conjoint François, dont il me prie de taire le nom de famille. Quant à la préface, elle est signée par Marie-France Bazzo, qui fut en quelque sorte la bougie d’allumage du livre.

« Il y a un an environ, on a travaillé sur un projet qui n’a pas abouti, raconte Duhaime. Je filais pas. C’était après l’arrestation de Nathalie. Marie-France, elle, venait de faire son coming out et d’avouer qu’elle n’était pas féministe. Je lui ai dit que je rêvais d’en faire autant face au lobby gai. »

« J’ai vu une étincelle dans ses yeux, qui disait : go, fais-le ! Cette nuit-là, je me suis réveillé à 2 heures du matin et j’ai écrit 25 pages d’une shot. »

— Éric Duhaime

Dans son livre, Duhaime consacre un chapitre entier au mouvement féministe dont s’est inspiré le mouvement d’affirmation gai et qui, selon lui, se heurte aux mêmes écueils. Dans ce chapitre, il débite une tonne de clichés sur le fait que l’égalité est acquise pour les femmes aujourd’hui, qu’elles sont arrivées au sommet, qu’elles triomphent partout au point de faire de l’ombre au pauvre homme blanc relégué aux oubliettes sociales. Il y fait aussi l’apologie de Lise Thériault, « cette grande et influente ministre qui a eu le courage de dire qu’elle n’était pas féministe, mais qu’elle s’identifiait à l’égalitarisme ». En passant, l’égalitarisme est une doctrine politique plutôt gauchisante qui n’a rien à voir avec l’égalité.

Mais Duhaime ne le dit pas, tout comme il oublie de reconnaître que cette même Lise Thériault a récemment offert sa démission au premier ministre, estimant que ses talents et compétences étaient sous-exploités. Influente, la ministre ? Ce n’est pas exactement la rumeur qui court à l’Assemblée nationale…

Duhaime affirme que s’il avait eu 20 ans dans les années 60, comme ses parents boomers, un ferblantier et une chauffeuse d’autobus, il se serait battu pour les droits des femmes, des gais et des nationalistes. Mais ce temps-là est révolu. Aujourd’hui, le discours féministe de Janette Bertrand et de Lise Payette lui apparaît aussi dépassé que celui du lobby gai. Il prône le démantèlement de ce lobby, mais pas de la filière rose, « ce réseau informel d’entraide et de transmission d’infos ou de faveurs ». Je lui demande quelle est la différence. « La filière rose, ce n’est pas l’État qui la finance, répond-il. C’est un réseau privé de minoritaires qui se serrent les coudes et qui favorisent ceux avec lesquels ils ont le plus d’affinités. »

Je lui avoue que je ne comprends pas.

Car suivant sa logique, pourquoi la filière rose devrait-elle continuer à exister et à distribuer ses faveurs et ses passe-droits dans un monde qui, selon Duhaime, ne devrait plus faire de distinction entre les gais et les hétéros ? Confronté à une autre de ses contradictions, Duhaime n’a pas de réponse à offrir.

Nous enchaînons sur un des rares épisodes douloureux évoqués dans son livre : la campagne de dénigrement dont il a été victime lorsqu’il s’est présenté comme candidat pour l’ADQ en 2003 dans la circonscription de Deux-Montagnes. Des petits rigolos avaient dessiné des pénis sur ses affiches. Comme son père s’occupait de l’affichage, c’est lui qui a été obligé de nettoyer les pancartes : « Je me suis senti tellement humilié, écrit Duhaime, que je ne lui en ai jamais parlé, pas plus qu’à aucun de mes organisateurs. »

Humilié ? N’est-ce pas un des mots clés du discours victimaire dont Duhaime cherche tant à se dissocier ? Mais je me réjouis trop vite. Car après avoir énuméré les deux couronnes mortuaires qu’il a reçues, le vandalisme sur sa voiture, les graffitis à son sujet devant le FM93 et les menaces de mort dont il a fait l’objet, il tranche en affirmant que ça n’a aucun rapport avec le fait qu’il est gai. Si on le persécute ainsi, c’est à cause de ses opinions. Il ajoute que si c’est le prix à payer pour sa liberté de parole et de pensée, il le paiera volontiers.

Je le regarde quitter le café, sa silhouette frêle et ses épaules voûtées se découpant sur le ciel gris. Avec son livre, Éric Duhaime affirme qu’il veut témoigner qu’il est possible d’être gai et heureux au Québec. Je ne doute pas qu’il soit gai. Je doute seulement qu’il soit aussi heureux et serein qu’il le dit.

Grande entrevue

Si Éric Duhaime était…

Une ville   Québec, parce que c’est une ville à échelle humaine et qu’il n’aime pas les mégapoles. Ne lui reste qu’à convaincre son chum qui a un commerce à Montréal de venir y vivre avec lui toute l’année.

Une idée de gauche   La réforme du mode de scrutin. Élire un dictateur tous les quatre ans, c’est débile, dit-il.

Un personnage de l’Histoire   Son modèle politique, Margaret Thatcher, qui, selon lui, a réinventé la façon de faire la politique et a remis le Royaume-Uni sur les rails.

Un plat   N’importe quel tajine, un amour qui lui vient de ses expériences culturelles, sensuelles et homoérotiques au Maroc.

Un sport   Le jogging, parce que courir, c’est la liberté n’importe quand et n’importe où, ce qui lui a permis de faire les marathons de Québec, Ottawa, Las Vegas et Marrakech.

S’il n’était pas gai, il serait… pansexuel, pour avoir des relations sexuelles spontanées avec tous ceux avec qui la chimie opère.

Une chanson  Fast Car de Tracy Chapman, pour la musique et le contenu triste, qui, précise-t-il, n’a rien à voir avec sa réalité.

Une femme   L’auteure Ayn Rand, philosophe de la droite conservatrice et égérie des libertariens, qui a eu une grande influence sur lui sur le plan idéologique.

Un char allégorique de la Fierté gaie   Il resterait dans le garage.

Un remède   Des cours d’économie obligatoires pour contrer l’analphabétisme économique des Québécois.

Une invention   Une potion magique pour être éternel.

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