CHRONIQUE POLITIQUE QUÉBÉCOISE

La bataille des nationalismes

Les leaders de Québec solidaire et d’Option nationale ont lancé tout un pavé dans la mare souverainiste en accusant le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, de faire reculer l’indépendance en stigmatisant les demandeurs d’asile.

Je comprends parfaitement les inquiétudes exprimées par Manon Massé, Gabriel Nadeau-Dubois et Sol Zanetti dans leur lettre publiée dans Le Devoir. Mais personnellement, ce n’est pas le recul de l’indépendance qui m’inquiète. Je crains plutôt que cela fasse reculer tout le Québec.

Il faut cependant pousser la réflexion plus loin. Ce à quoi nous assistons dépasse les tensions au sein du courant souverainiste. Il s’agit plutôt de l’opposition entre deux conceptions du nationalisme qui interpelle l’ensemble de la société québécoise.

Une forte majorité de Québécois, surtout chez les francophones, se définissent comme nationalistes – qu’ils soient fédéralistes, souverainistes ou neutres. Ils croient à l’existence d’une nation québécoise, ils veulent affirmer son existence, ils ont un sentiment d’appartenance à cette nation, ils en sont fiers et veulent contribuer à la construire.

Ce nationalisme n’est toutefois pas monolithique. Il peut générer une énergie créatrice, un désir de dépassement de soi, un élan collectif extrêmement riche. La Révolution tranquille incarnait ce nationalisme ouvert et moderne. Tout comme le Parti québécois de René Lévesque.

Mais il y a un autre nationalisme, celui de la tradition, nostalgique, épris de pureté originelle, défensif, nourri par la peur des autres. Ce nationalisme rural et catholique a longtemps dominé au Québec, de la Société Saint-Jean-Baptiste à Maurice Duplessis en passant par Lionel Groulx. Une parenthèse : le nationalisme canadien a aussi ses variantes défensives et intolérantes, qu’on a vues à l’œuvre dans le traitement les minorités francophones et autochtones, ou dans les manifestations d’antiaméricanisme primaire.

Le mouvement souverainiste a toujours dû composer avec ces expressions bien différentes du nationalisme. Le PQ a compté en son sein des militants très à droite et a réussi à s’implanter dans les bastions du nationalisme traditionnel. Mais si la coexistence a parfois été difficile, c’est le nationalisme d’ouverture et de modernité qui a dominé et qui a réussi à mettre le couvercle sur la marmite du nationalisme ethnocentrique.

Qu’est-ce qui a changé ? L’affaiblissement des appuis pour l’option a eu un double effet. D’abord, l’absence d’échéance plausible pour la construction d’un nouveau pays a provoqué une démobilisation, le départ d’éléments plus dynamiques qui ont choisi d’autres batailles ou ont rejoint les rangs d’une formation comme Québec solidaire, qui se définit davantage par son projet de société.

Le PQ s’est donc transformé, pour devenir plus vieux, moins urbain, plus conservateur.

Mais surtout, on a assisté à une réorientation stratégique du PQ. Incapable de remporter et même de proposer un référendum, limité dans ses victoires électorales par le boulet de la souveraineté, il a multiplié les efforts pour se rabattre sur un plan B ou un plan C en misant sur le potentiel de mobilisation des thèmes identitaires, comme la langue, les rapports avec les autres, les accommodements religieux. Faute de pouvoir gagner sur le front de l’indépendance, le PQ a misé sur un nationalisme de perdants.

Le grand architecte de ce virage, c’est Jean-François Lisée, comme essayiste, avec la publication, en 2007, d’un livre dont le titre dit tout, Nous, ensuite comme conseiller de l’ombre, et enfin comme ministre. Ce livre était une véritable feuille de route du repli identitaire du Parti québécois. Il y parlait de pertes de repères, dénonçait le postmodernisme, prônait un retour aux valeurs sûres et aux certitudes. L’aboutissement de cette stratégie, ce fut la charte des valeurs de triste mémoire.

Ces calculs cyniques de celui qui est, pour les amateurs de Game of Thrones, le Littlefinger de la politique québécoise, ont mené M. Lisée à une succession de déclarations qui ne sont pas des accidents de parcours. Son allusion effarante aux AK-47 sous les burqas et son accusation de la complicité de son adversaire, Alexandre Cloutier, avec l’islam radical l’ont aidé à remporter la course à la direction de son parti. Ses sorties récentes sur l’afflux de réfugiés – un Québec indépendant ferait respecter ses frontières, le coût élevé de l’accueil, les « invités de Justin Trudeau » – mettent sans doute la table pour la prochaine campagne électorale.

Le PQ n’est pas seul sur ce terrain où il est en compétition avec la Coalition avenir Québec, dont la majorité des partisans est fédéraliste. Le Québec n’est pas seul non plus à voir l’inquiétude et l’ignorance se transformer en intolérance.

Mais le Parti québécois, en raison de son rôle historique, étroitement associé à l’émergence de la nation québécoise, a une responsabilité particulière. Les sorties de son chef donnent une caution morale aux expressions d’intolérance et aux réflexes de repli. Et ça, c’est un gros problème.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.