Opinion

Dis-moi ton nom et je te dirai qui tu es

En avril prochain, la Régie des rentes du Québec dévoilera la liste des prénoms les plus populaires accordés aux bébés nés en 2017. En 2016, ce sont les prénoms Emma et William qui ont remporté la palme. En 1990, c’était Maxime et Stéphanie. En 1980 ? Éric et Julie. Loin de se réduire aux simples goûts personnels des parents, le choix du prénom s’inscrit dans des dynamiques sociales complexes.

Ces dernières années, au Québec, ce sont les prénoms courts qui ont la cote. Emma, Léa, Olivia, Alice et Zoé font partie des prénoms féminins les plus attribués en 2016. Du côté des garçons, Liam, Félix et Noah se classent dans le haut du palmarès. Où sont passés les prénoms composés, si populaires au tournant des années 90 ? Depuis le début du présent millénaire, ils ont littéralement sombré dans l’oubli.

Les goûts ont, pour ainsi dire, une dimension collective. Pas étonnant que plusieurs parents réalisent, en consultant la liste des partenaires de classe de leur enfant, que leurs préférences « personnelles » en matière de prénom s’accordent drôlement bien avec celles des autres !

Toutefois, nous constatons que les prénoms « populaires » le sont de moins en moins. En 1980, par exemple, les 10 prénoms masculins les plus prisés désignaient 13 % des garçons nés au Québec, contre seulement 7 % en 2016. Est-ce à dire que l’effet de mode perd de son emprise ?

En plus des nouveaux prénoms qui reflètent une diversité culturelle grandissante, nous assistons à une montée en popularité des prénoms rares et uniques ; on recycle de vieux prénoms, on en change l’orthographe, on en invente de nouveaux. Loin d’être marginale ou aléatoire, cette pratique collective témoigne d’une individualisation progressive de nos sociétés modernes. Autrefois hérité d’un proche parent, le prénom est aujourd’hui un outil de différenciation sociale. Choisir un prénom singulier : voilà une manière originale… d’être en phase avec son époque.

Un indicateur social

En France, le sociologue Baptiste Coulmont a compilé et analysé les résultats scolaires des étudiants en fonction de leur prénom. Et les résultats sont éloquents. En 2017, les Diane, Adèle et Joseph avaient plus de 20 % de chances d’obtenir la mention « Très bien » au baccalauréat (l’équivalent d’un DEC au Québec), contre à peine 3 % des Cindy, Steven et Dylan.

En France comme au Québec, les gens issus des milieux dits « populaires » – dont les résultats scolaires sont statistiquement plus faibles – affichent un goût marqué pour les prénoms de consonance anglophone, comme Logan, Hayden ou Madison.

Ainsi, en plus d’être l’indicateur d’un genre, d’une génération et d’une culture, le prénom reflète l’origine sociale de celui qui le porte. Les parents de Cindy et d’Adèle ne partagent pas les mêmes goûts en cette matière, car ils n’ont pas, en termes de probabilité, le même statut socioéconomique. Leur conception du « beau » et du « laid » est, pour ainsi dire, relative à leurs univers sociaux respectifs.

Car nos préférences, aussi personnelles ou intimes soient-elles, ne sont pas inscrites en nous dès la naissance. Comme l’a démontré le sociologue Pierre Bourdieu, elles se forment et se transforment à l’intérieur d’une société, en relation avec les autres.

D’ailleurs, qui imaginerait des jumeaux nouvellement nés se prénommer Huguette et Jean-Claude ?

Reparlons-en dans 20 ans.

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