Chronique

Un recul inacceptable pour les consommateurs

D’accord, il y a bien quelques petites avancées pour les consommateurs dans la vaste réforme des services financiers dévoilée par Québec, au début d’octobre. Mais dans l’ensemble, le projet de loi 141 est tellement inacceptable qu’Option consommateurs aurait presque envie de flanquer à la poubelle la brique de 488 pages.

« Le projet de loi provoque un recul majeur en matière de protection des consommateurs », a tonné, hier, le directeur général de l’organisme de défense des consommateurs, Christian Corbeil, dans une sortie publique d’une rare intensité.

On s’entend tous pour dire que les règles entourant la distribution d’assurance doivent être modernisées, notamment pour tenir compte de l’internet. Mais le projet de loi semble avoir été davantage conçu pour alléger et harmoniser le fardeau réglementaire des entreprises plutôt que pour renforcer la protection du public.

C’est le monde à l’envers ! Les lois devraient être un rempart pour le consommateur qui est plus vulnérable et moins informé que l’entreprise qui lui vend des produits financiers de plus en plus complexes.

« Mais quand on regarde le projet, on se rend compte que les consommateurs vont être dans une pire situation qu’avant », insiste Me Annik Bélanger-Krams, avocate chez Option consommateurs.

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Le projet de loi donne officiellement le feu vert à la vente d’assurance en ligne. Sauf que le code de conduite est plein de trous. Conséquemment, les consommateurs qui contractent de l’assurance en ligne seront moins bien protégés que ceux qui font affaire avec un représentant en chair et en os.

Désormais, un cabinet pourra vendre de l’assurance sur l’internet « sans personne physique », alors qu’Option consommateurs aurait souhaité un modèle hybride, où un conseiller valide la transaction (sauf pour l’assurance automobile, qui est plus standardisée).

Mais il y a pire. Un cabinet pourrait bientôt vendre de l’assurance en ligne en ayant un seul représentant certifié à son emploi, indépendamment du nombre de personnes qui travaillent chez lui.

Cela fait craindre que l’internaute qui a besoin d’aide se retrouve à parler avec n’importe quel employé, n’importe quel genre de vendeur qui n’a pas à respecter un code de déontologie destiné à protéger les consommateurs. L’interdiction de se placer en situation de conflit d’intérêts ? Le devoir d’information ? Le devoir de conseil ? Bah, sur l’internet, ça n’existe pas.

Il est vrai que le projet de loi accorde un délai de 10 jours aux internautes qui veulent annuler l’achat d’un produit d’assurance. C’est bien, mais nettement insuffisant comme garde-fou. En réalité, le consommateur risque de s’apercevoir qu’il a choisi le mauvais produit seulement lorsqu’il aura un pépin et que l’assureur refusera de l’indemniser. Trop tard pour revenir en arrière.

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À mon avis, plusieurs types d’assurances ne devraient tout simplement pas être vendus sur le web. Certains produits d’assurances peuvent être éminemment complexes. Et les conséquences d’une mauvaise décision peuvent être catastrophiques. Imaginez si l’assureur refusait de vous indemniser après l’incendie de votre maison.

Pourtant, Québec n’a pas cru bon d’interdire la vente de certains types d’assurances sur l’internet, laissant aux assureurs le soin de déterminer ce qu’il est souhaitable de vendre en ligne ou pas. « L’autoréglementation par les entreprises en fonction des règles du marché, ce n’est jamais un bon outil de protection des consommateurs. On aurait aimé que le législateur intervienne », déplore Me Bélanger-Krams.

Ne reste plus qu’à espérer que l’Autorité des marchés financiers (AMF) adopte intégralement les orientations sur l’offre d’assurance par l’internet qu’elle avait mises de l’avant en 2015. Par exemple, l’AMF recommandait que les sites de comparaison de primes d’assurance soient inscrits à titre de cabinets d’assurances et soumis à la même réglementation qu’eux.

Ces sites sont peut-être pratiques et rapides. Mais leur mode de rémunération soulève des questionnements quant à leur indépendance et à leur lien d’affaires avec les assureurs. En Europe, les autorités ont dû serrer la vis après avoir constaté des dérives.

Même si l’AMF impose éventuellement un cadre à la vente d’assurance en ligne, il aurait été bon que le projet de loi jette les fondations. Autrement, on a l’impression que Québec met la charrue devant les bœufs.

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Le mécanisme de règlement des différends est un autre élément qui a fait bondir Option consommateurs, à juste titre.

Le projet de loi prévoit que les frais de médiation et de conciliation devront être partagés entre les parties. Donc, le consommateur devra payer sa part. « C’est carrément inacceptable. C’est un obstacle de plus qu’on met à la justice », dénonce Me Bélanger-Krams.

Pensez-y. Le consommateur qui vient de subir des pertes financières à cause d’un problème d’assurance devra payer pour tenter de régler le litige auprès de l’AMF, au même titre que l’assureur qui a les poches autrement plus profondes. C’est David contre Goliath.

Pourquoi ne pas avoir envisagé un mécanisme de traitement des plaintes comme celui de l’industrie des télécommunications qui est entièrement financé par l’industrie ?

La Commission des plaintes relatives aux télécom-télévision (CPRST) a fait la preuve de son efficacité et de son indépendance. Il a permis à de nombreux consommateurs d’obtenir gain de cause contre un géant, sans sortir un cent de leurs poches.

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