Chronique

L’IRIS, le gain en capital et les riches

Le pamphlet de deux chercheurs de l’IRIS dénonçant le prétendu « cadeau fiscal de 628 millions » accordé à une « caste » de 7300 riches québécois a suscité de vives réactions. Et pour cause.

Le texte publié le 12 mars dans la section Débats de La Presse dénonçait le fait que seulement 50 % des gains tirés de la vente d’un actif sont imposables, comparativement à 100 % pour les revenus de travail.

Le débat qu’il soulève est fort pertinent, mais le texte de l’IRIS, qui a circulé abondamment sur les réseaux sociaux, contient des erreurs si importantes qu’il trompe la population et fausse le débat.

L’IRIS est l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques. Le groupe de gauche ne croit pas que le Québec a un problème d’endettement et de déficit. Ses chercheurs parlent de redistribution, sans se soucier de création de richesse et de concurrence fiscale.

Penchons-nous d’abord sur les chiffres de l’IRIS. Selon le texte, 85 % des gains en capital au Québec seraient déclarés par 7300 Québécois ayant des revenus de 100 000 $ et plus. Ce groupe, représentant 0,2 % des contribuables, empocherait 628 millions de dollars du gouvernement du Québec grâce à cette exemption.

Le chiffre soulève l’indignation. En pleine période d’austérité, le gouvernement du Québec donnerait 628 millions à 7300 riches spéculateurs boursiers, conclut l’IRIS, ce qui est inadmissible.

Or, vérification faite, ce ne sont pas 7300 Québécois dont il est question, mais 10 fois plus, soit 78 824. L’information est tirée du document Statistiques fiscales des particuliers du ministère des Finances, qui porte sur l’année 2011 (la plus récente disponible). Et l’impôt économisé au Québec pour cette même année ne serait pas de 628 millions, mais de 441 millions.

Dit autrement, le gain économisé est de quelque 5600 $ pour chacun de ces riches contribuables, et non de 86 000 $. Méchante différence, qui change complètement la donne. L’un des chercheurs a admis cette « confusion » sur le site de l’IRIS, mais la précision est loin d’être claire.

Cette erreur n’est pas isolée. Dans leur texte, les deux chercheurs donnent à penser que les contribuables tirent l’essentiel de leur gain en capital de la vente de titres de placement sur les marchés financiers. « Au final, les gains en capital […] ont tout à voir avec une élite qui profite de la spéculation pour s’enrichir. »

Or, la réalité est tout autre. Selon Statistique Canada, le gain en capital des particuliers qui vient de la vente d’actions en Bourse et autres fonds communs représente seulement…12 % du total des gains en capital. La part du lion vient de la vente d’immeubles (36 %) et de la cession de PME ou d’entreprises agricoles et de pêche (30 %).

Il peut s’agir, par exemple, d’un couple qui vend son chalet ou son triplex. Le gain est alors imposable à 50 % (la partie qui constitue la résidence principale d’un triplex n’est pas imposable, tandis que le reste l’est à 50 %). On est loin des requins spéculateurs. À moins que l’IRIS ne veuille parler des petits entrepreneurs et des fermiers ?

Ce n’est pas tout. À première vue, les contribuables qui profitent principalement des gains en capital semblent provenir de la « caste » des riches. Mais il faut savoir que l’année de la vente à profit d’un triplex ou d’un chalet, le revenu déclaré à l’impôt explose, si bien que le contribuable déclarant semble soudain faire partie de cette « caste » dont parle l’IRIS. Dans les faits, c’est souvent un gain ponctuel que réalisent environ 36 500 contribuables.

À travers cette enflure d’interprétation, l’IRIS soulève un débat pertinent sur la pleine imposition ou non du gain en capital, comme le fait Québec solidaire également.

Pourquoi les revenus réalisés avec du capital devraient-il être moins imposés que ceux réalisés par le travail ? Cette question mérite d’être posée, en toute justice fiscale.

La commission Godbout sur la fiscalité recommande justement qu’à moyen terme, le gouvernement du Québec abolisse l’exemption de 50 % du gain en capital dans le calcul de l’impôt. Mais elle pose une condition essentielle : une telle initiative ne peut être prise sans que le fédéral et les autres provinces n’emboîtent le pas « afin d’éviter que la réalisation des gains en capital ne se déplace simplement à l’extérieur du Québec ». Bref, une telle mesure prise isolément serait une incitation à l’évasion fiscale.

Par ailleurs, faudrait-il abolir l’exemption et la déduction pour tous les types de gains ? Que faire pour les entrepreneurs, dont la mesure encourage la prise de risque et l’investissement ? Et les agriculteurs, les pêcheurs ?

En somme, peut-être pourrait-on envisager d’imposer à 100 % les gains tirés de placements, comme ceux à la Bourse. Mais comme pour toute question fiscale, il faudrait tenir compte de nos concurrents. Et ne pas espérer en tirer 628 millions de la « caste », mais probablement 10 fois moins.

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