chronique

L’amour de la France

En ce 14 juillet, permettez-moi d’écrire une carte d’anniversaire aux Français. Et comme dans toute bonne carte de fête, je vais me concentrer sur le beau et le bon. Les critiques, c’est pour les autres jours. Aujourd’hui, que de l’amour. Que du love, comme diraient les Français. Je sais, ils sont tannants avec tous leurs mots anglais, mais ça, on en parlera demain. Aujourd’hui, on ne les chicane pas. Aujourd’hui, on fait comme eux.

J’aime la France depuis toujours. Petit, j’étais convaincu que c’était le plus beau de tous les pays, je n’y étais jamais allé pourtant, mais c’est ce que disait Maman. Maman n’y était pas allée non plus. Elle ne l’avait jamais vu, mais elle l’avait beaucoup lu. Dans tous ses bouquins de grands auteurs français qui remplissaient notre demeure : Hugo, Proust, Balzac, Rimbaud, Colette, Camus, Aragon…

Paris était l’étoile à laquelle on rêvait. New York, c’était trop près. Une étoile, il faut que ce soit loin. Il faut la voir briller sans pouvoir y toucher. Et toute ma jeunesse, j’ai vu Paris briller dans tant de films avec Belmondo, Delon, Deneuve, Bardot, Piccoli, Ventura, Signoret, Schneider… Peu importe l’histoire, on était ravis par le décor. Par la beauté classique des lieux. Comme une pierre plus belle parce qu’elle a été polie par le temps, Paris est un diamant au doigt d’une mariée, une promesse d’éternité.

Ce qu’il y a de bien avec les Français, c’est qu’ils s’aiment profondément. Sincèrement. Je sais qu’ils ne cessent de chialer sur leur pays et s’engueulent à grands coups de poissons, comme dans Astérix. Mais au fond d’eux, ils sont contemplatifs de leur contrée. Particulièrement leur capitale. Jamais un endroit n’a été aussi chanté : Revoir Paris de Trenet, Paris canaille de Ferré, Paris au mois d’août d’Aznavour, Les amants de Paris de Piaf, À Paris de Montand, Les prénoms de Paris de Brel, Il est 5 h, Paris s’éveille de Dutronc, À Paris dans chaque faubourg de Patachou, Paris violon de Legrand, Les Champs-Élysées de Dassin… La liste est longue. Jamais une ville ne fut aussi inspirante. Toutes ces chansons sont autant d’invitations, autant de valises prêtes à la porte de notre maison. On a juste hâte de les emporter avec nous, là-bas.

J’ai été chanceux. J’ai vu Paris pour la première fois dans la jeune vingtaine. J’accompagnais André-Philippe Gagnon sur le plateau de l’émission de Michel Drucker. C’était un voyage pour la job. Quelques jours seulement. Et même si on était fort occupés, j’ai savouré les lieux. J’avais l’impression de débarquer sur la Lune. De réaliser un exploit. Ou encore mieux, un rêve. J’étais à Paris. J’étais dans tous les livres, dans tous les films, dans toutes les chansons.

Quand on est à New York, on a en nous un sentiment de puissance. On est là où ça se passe. If you can make it there, you can make it everywhere. On est sur la terre de toutes les occasions. Dans cette magnifique cité, on se sent big. Sur le sommet du monde. Paris, ce n’est pas ça. Paris ne procure pas cet effet-là. Paris, c’est plus qu’universel. Paris, c’est personnel. Ce n’est pas la foule qui nous étourdit, c’est la beauté.

Quand on marche dans Paris, on n’est pas dans sa tête, on est dans son cœur. On est devant un tableau. Chaque angle, chaque coin est une œuvre que notre mémoire est en train de signer.

Quand on va à Paris pour la première fois, c’est comme si on revenait quelque part. Chez quelqu’un qu’on n’a jamais cessé d’aimer.

Dès qu’on y met le pied, on a l’impression d’y avoir vécu. Imaginez quand on a la chance d’y retourner, la sensation ne cesse d’augmenter. Paris est l’art. Et l’art, c’est ça. Des vies autres qui deviennent la nôtre.

Quand je suis rentré de Paris, je n’ai eu qu’une seule envie : que ma mère y aille aussi. Et c’est ce que je lui ai offert, quelques mois plus tard. La France est trop belle pour la garder pour soi. On veut la partager. C’est ce que font les Français. C’est le pays qui accueille le plus de touristes. Paris, bien sûr, mais aussi la Côte d’Azur, la Provence, la Normandie, les Pays de la Loire, la Bretagne, le Midi… Je pourrais tout vous nommer. Ce peuple sait habiter. Non seulement sa nature est belle, mais il sait aussi la mettre en valeur.

Aujourd’hui, c’est la fête des Français, et il faut les féliciter pour leur pays. Pas le pays politique. Pas la puissance. Pas l’influence. Ça, on en débattra plus tard. Non, le pays géographique. La terre. Le paysage. Le panorama. C’est beau.

Et tout le mérite ne revient pas au Créateur. Ça prend un peuple aux yeux de peintre pour en garder toute la couleur.

Demain, c’est la finale de l’un des mondiaux les plus mémorables de l’histoire. Tellement de grands matchs. Tellement de beaux jeux. Bien sûr, chère France, je vous souhaite, comme cadeau d’anniversaire, de remporter les grands honneurs. Quoique je serais heureux pour les Croates, aussi. Mais que voulez-vous, la France, c’est notre famille. C’est avec vos mots qu’on se raconte, qu’on se définit. C’est à la fois loin et en nous. La France. Car nous sommes les descendants de gens qui en sont partis, mais qui l’avaient en eux. Comme un enfant quitte sa mère pour faire sa vie.

On peut se le dire, elle est jolie, notre mère patrie. Surtout quand elle est ouverte, diversifiée et fraternelle comme son équipe de foot.

Allez, les Bleus ! Vos cousins sont bleus aussi !

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