OPINION

Montréal peut-il avoir deux festivals importants d’humour ? 

L’humour représente un succès estival indéniable à Montréal.

En 2017, il y a déjà un festival important avec le volet francophone de Juste pour rire (JPR) et le volet anglophone Just for Laughs (JFL). Il y aussi les festivals alternatifs (ZooFest et OFF-JFL). Au fil des 35 dernières années, le festival Juste pour rire (FJPR) s’est hissé au niveau des événements majeurs et est notamment membre du Regroupement des événements majeurs internationaux (RÉMI). D’ailleurs, Gilbert Rozon est administrateur au sein du conseil d’administration du RÉMI. Les retombées économiques du FJPR se situeraient autour de 40 millions par année. On peut sans doute prétendre qu’un événement estival majeur en humour à Montréal représente un succès pour Montréal, le Québec et l’industrie de l’humour. 

L’été prochain s’annonce prometteur pour les amateurs d’humour.

Jusqu’à maintenant, les deux groupes organisateurs (Juste pour rire et le FRM, Festival du rire de Montréal) ont annoncé un festival en 2018, mais il reste des détails à obtenir de la part de ces deux groupes. Il y a de la place pour des volets francophones et anglophones. Il y a de la place pour une cohabitation entre un festival important et un festival alternatif.

Une question se pose : Montréal peut-il avoir deux festivals majeurs d’humour francophone durant l’été ? 

Facteurs de succès 

Le succès d’un festival d’humour peut s’examiner sous quelques dimensions. On peut résumer certains de ces facteurs, soit : la présence des humoristes, la qualité des numéros, la présence du public, le financement, la logistique et les producteurs. 

La présence des humoristes et la qualité des numéros représentent le point de départ d’un festival. Le FRM compte sur l’appui d’une cinquantaine d’humoristes confirmés, incluant plusieurs grands noms au sein des humoristes. À ce chapitre, le FRM semble avoir un avantage, du moins à court terme. 

Certains humoristes ne se sont pas prononcés jusqu’à maintenant, soit par manque de temps pour en discuter, soit par manque d’intérêt pour un festival estival, soit par prudence. JPR pourrait bénéficier de son réseau pour conserver certains grands noms. Toutefois, aucun ne semble s’être prononcé publiquement en faveur de JPR. 

Avec les humoristes vient la présence du public. Cette présence est essentielle pour le succès. Le public suivra ses vedettes et pourrait se positionner en réaction au scandale.

La présence d’événements et de festivals représente un élément de satisfaction autant pour les touristes d’agrément que pour les touristes d’affaires, selon une étude de KPMG en 2015 pour le RÉMI. Le public devrait être présent. Peut-il et veut-il se payer deux festivals ? 

Questions financières

Les finances sont névralgiques pour le succès à long terme. Il y a le financement privé et le financement public. Selon l’étude de KPMG (2015, p.3), « 84 % des revenus des membres du RÉMI sont de sources privées et autonomes ; seulement 16 % proviennent de subventions gouvernementales ».

Parfois décrié comme trop cher à JPR, quel sera le prix des billets du FRM ? En plus de la vente de billets, la présence de commanditaires prestigieux est cruciale. Quoiqu’encore embryonnaire comme projet, le FRM bénéficie de l’appui du Mouvement Desjardins. Qui seront les autres ? Est-ce que Vidéotron et Loto-Québec poursuivront leur relation avec JPR ? Est-ce que TVA continuera de présenter les Galas JPR ? 

Le financement des gouvernements fédéral, provincial et montréalais représente un appui de taille, autant en ce qui concerne les sommes que la reconnaissance publique. La vice-première ministre du Québec Dominique Anglade et la nouvelle mairesse de Montréal Valérie Plante ont appuyé publiquement le FRM à l’émission Tout le monde en parle. Comment ces appuis se traduiront-ils ? Y aura-t-il sélection d’un festival au détriment de l’autre ou simplement un partage de la tarte disponible entre les deux ? Y a-t-il assez de temps pour le FRM afin de formuler et d’obtenir le financement public ? Il existe des protocoles d’entente avec les partenaires de JPR s’étalant sur plusieurs années. Ces ententes survivront-elles au scandale ? Il pourrait y avoir un moment de pause pour JPR, en particulier si l’on tient compte d’un nouveau contexte et de la présence d’un nouvel actionnaire. 

Questions logistiques

Organiser un festival représente un défi logistique important. Il y a des questions et des décisions à venir : les dates (14-28 juillet pour JPR ; inconnues pour le FRM), le lieu (Quartier des spectacles pour JPR ; inconnu pour le FRM), le format de festival (en salle, dans la rue, les deux), sur le nombre de jours, de galas, de salles et d’activités. Quelles salles sont utilisées ? Les salles sont-elles disponibles pour le FRM ? Quelle est la coordination et la collaboration possible avec les autres événements estivaux ? Sans bénéficier de l’expérience de JPR, la logistique du FRM pourra être assurée par ses partenaires. ll serait sans doute prudent pour le FRM de commencer plus petit et de grossir, plutôt que de tenter de faire un festival aussi gros que JPR dès le départ. 

JPR se compose d’un groupe ayant fait ses preuves au fil des ans comme producteur. JPR, ce n’est pas uniquement Gilbert Rozon. Il y a des employés et beaucoup de contractuels. Certains pourraient joindre au FRM. Les humoristes produisant le FRM représentent une coalition imposante et possèdent une expérience certaine du fonctionnement d’un festival. Le FRM devrait s’associer avec des partenaires ayant une expertise de gestion événementielle. 

Avec la création du nouveau Festival du rire de Montréal, l’industrie de l’humour se situe à un tournant de sa petite histoire. 

L’humour au Québec, ce n’est pas Gilbert Rozon. En assistant aux différentes activités et en présentant leurs numéros, le public et les humoristes décideront de l’avenir de la fête estivale de l’humour à Montréal et en région. Il y a beaucoup de détails à obtenir avant de décider du sort des deux festivals et s’ils ont leur place. 

* François Brouard, DBA, FCPA, FCA, est directeur du Centre Sprott pour les entreprises sociales (CSES), cofondateur du Groupe de recherche sur l’industrie de l’humour (GRIH) et membre de l’Observatoire de l’humour (OH). 

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