rencontre à montréal du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat

Les « ouragans sur les stéroïdes » inquiètent les scientifiques

Après la dévastation provoquée par l’ouragan Harvey et l’arrivée de sa grande sœur Irma, qui s’annonce encore plus violente, les États-Unis oseront-ils confirmer le retrait de leur financement à l’organisation mondiale chargée de documenter les changements climatiques ? On le saura peut-être à l’issue de la 46e session du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui réunira à Montréal, à partir de demain, des centaines de scientifiques et de représentants gouvernementaux de 195 pays.

Plus de 30 ans à documenter le réchauffement

Le GIEC vise à informer les décideurs des dernières conclusions scientifiques sur les changements climatiques. Depuis sa création en 1988, le groupe a produit cinq rapports qui ont, d’année en année, démontré des liens de plus en plus directs entre l’activité humaine et le réchauffement de la planète. Depuis 2015, les experts préparent le sixième rapport d’évaluation, qui doit être publié en 2022. Le GIEC prépare aussi la mise en œuvre de l’accord de Paris. « À l’origine, le groupe voulait répondre à la question : Y a-t-il un problème avec le climat ? L’objectif est atteint, on sait clairement qu’il y a un problème », souligne Alain Bourque, directeur d’Ouranos, groupe québécois d’experts sur le climat. « Selon certains, le GIEC aurait dû cesser ses activités une fois cette mission accomplie, mais il s’oriente maintenant vers la recherche de solutions. »

Trump coupe les vivres au GIEC

Les États-Unis étaient les plus importants contributeurs au budget du groupe. Mais le président Donald Trump a annoncé la fin de ce financement, tout comme celui de plusieurs groupes environnementaux. La contribution américaine de 2 millions au GIEC a été réduite à zéro pour 2017, et le budget 2018 interdit le financement du groupe, dont le budget total est de 4,3 millions par année, selon un récent reportage du magazine Wired. « C’est gênant pour les États-Unis d’agir ainsi, pendant qu’ils sont menacés par un deuxième ouragan », déplore le directeur d’Ouranos.

Sans cibler l’administration américaine, les membres du comité sur le financement de l’organisation ont souligné, dans un rapport préparé pour la rencontre de Montréal, que « le monde n’a jamais eu autant besoin du GIEC que maintenant », et que le manque de ressources financières risquait de compromettre ses travaux et la production de ses prochains rapports.

Des ouragans « sur les stéroïdes »

Les scientifiques s’entendent : les ouragans ne sont peut-être pas causés par le réchauffement de la planète, mais ils sont exacerbés par ces changements et provoquent une dévastation plus intense en raison de la hausse du niveau des océans. « Ce sont des ouragans sur les stéroïdes », illustre Alain Bourque, en parlant de Harvey et d’Irma. Pourtant, l’administration américaine continue de rejeter le consensus scientifique : il y a quelques mois, le président Trump a décrit le réchauffement climatique comme un « canular » monté par les Chinois pour nuire au développement économique des États-Unis. Il y a quelques jours, la conseillère du président Kellyanne Conway a affirmé que ce n’était pas le moment pour le gouvernement de discuter de réchauffement climatique, puisqu’il devait s’occuper des sinistrés de l’ouragan Harvey.

Convaincre les décideurs

Après toutes ces années de preuves scientifiques patiemment accumulées pour démontrer le réchauffement de la planète et le rôle joué par les gaz à effet de serre, comment se fait-il que des dirigeants politiques en doutent encore ? Et que les actions pour renverser la vapeur soient encore si timides ? Donald Trump n’est pas nécessairement représentatif, remarque Steven Guilbeault, directeur d’Équiterre. « Il reste des poches de résistance parmi les dirigeants de la planète, mais la majorité croit aujourd’hui que la planète se réchauffe à cause de l’activité humaine, note-t-il. Le GIEC a eu un impact sur les décideurs, mais c’est vrai qu’on n’agit pas assez, ni assez vite. »

Les tempêtes et les inondations peuvent-elles amener des actions concrètes ? « Bien des gens ne seront jamais convaincus par les scientifiques, mais à force de se faire frapper par des ouragans de plus en plus puissants, peut-être qu’ils vont finir par se réveiller, dit Alain Bourque. Il n’y a rien de mieux qu’un Saguenay, un verglas, une inondation printanière ou des tempêtes côtières pour rappeler à tous qu’il faut faire quelque chose. »

Haro sur le gaz naturel

Profitant de la tenue du GIEC à Montréal, des écologistes et des professeurs en environnement ont tenu une conférence de presse pour dénoncer le fait que le gouvernement du Québec mise sur le gaz naturel comme énergie de transition pour atteindre les cibles de réduction des gaz à effet de serre. C’est surtout le gaz carbonique qui a mauvaise presse, quand on parle de réchauffement climatique. Mais selon eux, le méthane, qui compose une bonne partie du gaz naturel, contribuerait même davantage au réchauffement climatique que le CO2, a fait valoir Pierre Langlois, spécialiste de la mobilité durable.

Le professeur Damon Matthews, titulaire de la Chaire de recherche sur le climat de l’Université Concordia, a souligné que les cibles de l’accord de Paris peuvent être atteintes dans les délais requis si les bonnes stratégies sont mises en place. « Les changements technologiques font baisser le prix des énergies renouvelables plus vite que prévu », a-t-il noté. « Quand l’auto électrique coûtera le même prix que l’auto à essence, en 2025, et qu’elle permettra aux consommateurs d’économiser, qui voudra encore de la vieille technologie ? », a demandé Pierre Langlois. « Les comportements vont changer, pas nécessairement par souci de l’environnement, mais pour des raisons économiques. »

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