Chronique

La tempête Flynn

Michael Flynn est-il surtout bête, ou ignorant ou malhonnête – ou tout cela à la fois ?

Moins d’un mois après son entrée en fonction, le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump a été contraint de démissionner hier soir. Le général à la retraite Joseph Kellogg a été aussitôt désigné par la Maison-Blanche pour assurer l'intérim à ce poste stratégique.

Mais au-delà du sort de Michael Flynn, la crise entourant ses conversations téléphoniques avec l’ambassadeur de Russie, Sergueï Kislyak, met en lumière l’amateurisme et l’improvisation qui caractérisent la nouvelle administration au pouvoir à Washington.

Petit rappel : trois semaines avant de quitter la Maison-Blanche, le président Barack Obama a décrété de nouvelles sanctions contre Moscou, en guise de représailles pour les ingérences russes dans la campagne présidentielle américaine.

À la mi-janvier, le Washington Post a révélé que Michael Flynn s’était entretenu de ces sanctions avec l’ambassadeur Kislyak. Et qu’il lui avait peut-être même promis de ne pas trop s’en inquiéter, à la veille du changement de régime à Washington.

Rappelons qu’à l’époque, Barack Obama était toujours président des États-Unis. Et le futur conseiller à la sécurité nationale n’avait aucune autorité pour faire quelque promesse que ce soit à quelque diplomate étranger que ce soit. Il est même probable qu’il ait, ce faisant, enfreint une loi interdisant aux personnes non autorisées de négocier avec des puissances étrangères en conflit avec les États-Unis.

Interrogé sur ces échanges téléphoniques, Michael Flynn a commencé par nier avoir abordé la question des sanctions dans ses conversations avec l’ambassadeur Kislyak. Il en a même assuré le vice-président Mike Pence, qui l’a défendu publiquement avec un bel aplomb.

Mais avec le temps, et à mesure que le Washington Post y allait avec de nouvelles révélations, Michael Flynn a mis un bémol à ses dénégations. Il ne se souvenait plus d’avoir jasé de sanctions, mais ne pouvait plus jurer qu’il n’en avait pas été question…

Premier péché, donc : Michael Flynn semble avoir outrepassé son rôle, et peut-être même commis un geste illégal en flattant l’ambassadeur de Russie dans le sens du poil.

Deuxième péché : il a menti à ce sujet, autant au grand public qu’à son patron, le vice-président Mike Pence.

Troisième péché : il semble avoir oublié que les conversations de plusieurs diplomates à Washington sont surveillées par l’appareil du renseignement. Et qu’il n’avait pas que des amis au sein de cet appareil…

Les révélations du Washington Post s’appuient en effet sur les témoignages anonymes de neuf employés et ex-employés de diverses agences de renseignement qui ont pu avoir accès à ces communications.

Et devinez quoi : ils ont tous confirmé que les sanctions avaient été à l’ordre du jour des échanges entre Flynn et Kislyak. Deux d’entre eux sont allés jusqu’à dire que Michael Flynn avait laissé miroiter à l’ambassadeur Kislyak la perspective de la levée imminente de ces sanctions.

Cette familiarité avec le représentant de Moscou est troublante en soi. Surtout de la part de l’homme qui a dirigé le Conseil national de sécurité – la plus haute instance où s’élabore la politique étrangère des États-Unis.

« Le conseiller en sécurité nationale, c’est le géopoliticien du président, la personne qui influence le plus sa politique étrangère », explique le politologue Charles-Philippe David, de la Chaire Raoul-Dandurand à l’Université du Québec à Montréal.

Charles-Philippe David connaît bien le Conseil de sécurité nationale américain. Il y a même consacré sa thèse de doctorat. Et ce qui le frappe aujourd’hui, au-delà des excès et des mensonges de Michael Flynn, c’est la multiplication des fuites mettant en cause le patron de ce conseil.

Car pendant que le FBI enquête sur ses conversations téléphoniques avec l’ambassadeur de Russie, d’autres informations donnent une image chaotique et brouillonne de cette agence.

Dimanche, le New York Times y est allé avec ses propres révélations, colligées elles aussi grâce à des témoignages venus de l’intérieur de la « machine ». Il en ressort que les employés du Conseil peinent à arrimer leurs stratégies au fil Twitter du président Trump. Que ce dernier les tient dans l’ignorance de ses conversations avec des leaders étrangers. Et que certains d’entre eux ont opté pour des communications cryptées, craignant que leurs téléphones portables et leurs courriels ne soient mis sous surveillance. Joli climat de travail !

Deux de ces témoins interviewés par le New York Times ont raconté que des employés du Conseil national de sécurité ont envisagé de suggérer des « gazouillis » au président, pour parvenir à l’influencer !

Les employés cités par le NYT se plaignent de manque d’information et de suivi à tous les niveaux. Tandis que des collaborateurs de Michael Flynn racontent que ce dernier s’arrachait les cheveux en voyant son pouvoir d’influence lui échapper au profit de Steve Bannon, le super conseiller du Donald Trump.

D’ailleurs, selon Charles-Philippe David, l’empressement de Michael Flynn auprès de l’ambassadeur de Russie pouvait être attribuable à cette guerre de pouvoir à l’interne, et à l’insécurité d’un conseiller qui veut marquer des points avant que le tapis ne lui glisse sous les pieds…

Fuites, improvisations, rivalités : tout ça pourrait être drôle si le Conseil national de sécurité n’avait pas le pouvoir de conseiller le président sur les décisions les plus délicates. Comme cette opération militaire bâclée au Yémen, où un commando américain a voulu cibler une base d’Al-Qaïda et a tué au passage plusieurs civils.

La crise entourant Michael Flynn n’est que le symptôme d’un mal beaucoup plus important, aux conséquences imprévisibles.

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