campagne publicitaire

Nike saute dans le débat social

La campagne publicitaire de Nike pour célébrer le 30e anniversaire du slogan fondateur de la marque « Just do it », avec l’ex-joueur de la National Football League (NFL) Colin Kaepernick, sera assurément considérée comme un cas d’école à montrer aux futurs mercaticiens et communicateurs.

Pourquoi cette célébration quasi unanime de ce coup d’éclat aux connotations sportives, mais hautement politiques aussi ? Essentiellement pour des choix judicieux en termes de timing, de protagonistes et de ton, alors que payer des sportifs connus pour faire parler d’une marque est une recette certes efficace, mais qui n’a rien d’une innovation.

Le moment est extrêmement important quand vient le temps de lancer une campagne d’envergure comme celle-là.

Il permet de multiplier l’auditoire, d’amplifier les échos et de susciter les débats. L’aspect temporel est intéressant à deux niveaux ici.

Premièrement, cette campagne sort peu de temps avant le début de la saison de la NFL, véritable religion aux États-Unis, et avant les élections de mi-mandat que beaucoup considèrent comme un moment charnière dans le contexte politique et social actuel. Deuxièmement, l’entreprise n’en est pas à son coup d’essai. En effet, elle a décidé depuis quelque temps, dans le cadre d’une stratégie cohérente, et assurément à cause de l’atmosphère sociale qui règne aux États-Unis depuis la venue de Trump, de prendre position clairement en faveur d’une Amérique, et par corollaire, d’un monde plus égalitaire, plus diversifié et plus inclusif.

Notons que traditionnellement les marques prennent rarement position sur des questions politiques ou sociales. Les risques sont importants et la neutralité est souvent de mise. Certains disent que ce n’est pas leur rôle que d’intervenir dans les débats publics.

Des acteurs sociaux

Toutefois, la montée du populisme, un désenchantement notable, une remise en question des institutions et de leurs représentants ainsi que la multiplication des crises de toutes sortes ont convaincu certaines marques de se comporter comme des acteurs sociaux prenant position sur des questions sensibles, mais allant aussi jusqu’à proposer des pistes de solutions ou adopter des actes concrets pour y faire face comme l’ont fait notamment Patagonia, Amazon ou encore Airbnb. Dans ce contexte, les dirigeants de Nike ont sûrement beaucoup réfléchi à la question et ont opté pour une stratégie différente. L’entreprise a décidé de porter son chapeau d’acteur social, en se disant que dans ce contexte ne pas prendre position est en soi une forme de position.

Ainsi Nike sort du lot grâce à une certaine constance dans l’action et la multiplication des campagnes à connotation sociale. Ainsi avant ce nouvel opus, il y a eu, entre autres, en 2017, la campagne « Equality » avec la vedette du basketball Lebron James dont le slogan est : « Worth should outshine color » ou encore la campagne « Que vont-ils dire de toi ? » portée par des athlètes féminines d’exception venant de pays musulmans.

La constance dans l’action renforce le message et confère de la crédibilité à la marque. Mais que veut concrètement Nike avec ces campagnes ?

L’entreprise veut se présenter comme un acteur social qui fait de bons et beaux produits, mais qui se soucie aussi du bien-être collectif.

Au-delà de sa mission première de faire aimer le sport, elle veut mettre de l’avant les valeurs d’authenticité, d’audace et de liberté avec un soupçon de rébellion. Des valeurs chères aux consommateurs actuels et futurs, surtout les plus jeunes, qui semblent accorder beaucoup d’importance à ce que véhicule une marque en termes d’idées et de comportements. Il faut dire que le sport est un terrain propice pour faire vivre et partager ces valeurs.

Par ailleurs, dans ce genre de réflexion, on ne peut pas passer outre les voix qui crient à la manipulation émotionnelle pour faire vendre plus de souliers. Évidemment, toutes les entreprises veulent vendre des produits et engranger des bénéfices, mais prenons le temps d’apprécier ce que certaines marques font pour tenter d’influencer le débat social et de vendre le rêve d’une société meilleure, tout en laissant à chaque consommateur le soin de prendre ses propres décisions de consommation. Après tout, consommer c’est aussi une forme de plébiscite qui aujourd’hui ne touche pas que les aspects fonctionnels et esthétiques, mais aussi un choix de valeurs.

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