Urgence psychosociale-justice

Un filet de sécurité pour les personnes en crise

Depuis 10 ans, une équipe d’urgence, qui vient en aide aux gens en crise, à l’état mental fragile et qui représentent un danger pour eux-mêmes ou pour autrui, a vu le nombre de ses interventions augmenter de 52 % à Montréal. Cette année, 5000 demandes d’aide ont été acheminées à l’équipe d’Urgence psychosociale-justice (UPS-J). La Presse a passé deux jours sur le terrain avec elle.

La jeune femme est affalée sur le sofa de son salon. Les cheveux en bataille. L’air hagard. Elle fixe le vide et écrase une cigarette dans un cendrier qui aurait dû être vidé depuis longtemps. Blotti contre sa maîtresse, un chat gris et gras observe la scène. Un immense chien fait les cent pas dans le petit logement, plongé dans l’obscurité.

La cuisine ressemble à un champ de bataille. La table est recouverte d’une montagne de papiers. Dans un coin de l’appartement, un balai est posé au sol. Quelques mètres plus loin, une vadrouille trempe dans un seau d’eau. Les deux objets semblent ne pas avoir été utilisés depuis longtemps : l’appartement est envahi par les poils d’animaux.

Arrivés sur scène 30 minutes plus tôt ce matin-là, les policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et les ambulanciers d’Urgences-santé surveillent la scène. C’est une amie de la jeune femme qui a alerté les autorités. Elle s’inquiète de sa copine qui « ne va pas bien ».

La détresse de la jeune femme est manifeste. À toutes les questions qu’on lui pose, elle répond d’une voix à peine audible : « Je ne sais pas. » Pour les épauler dans leur intervention, les policiers ont contacté le service d’Urgence psychosociale-justice (UPS-J).

Évaluer le danger

Existant depuis 23 ans, ce service qui relève du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal compte une trentaine d’intervenants, notamment des criminologues, des travailleurs sociaux et des infirmières. Leur mission : intervenir dans des situations de crise auprès de personnes avec un état mental altéré.

Dans le salon, la travailleuse sociale Marie-Josée Grand’Maison et le criminologue Nicolas Beaudet, d’UPS-J, discutent doucement avec la jeune femme. Mme Grand’Maison lui explique qu’ils sont là parce qu’« elle ne semble pas bien aller » et que des « gens sont inquiets ». La jeune femme pleure. « Je ne suis plus sûre que je suis rationnelle ou non », en se tenant la tête à deux mains et disant ne plus avoir la notion du temps. Au bout de cinq minutes de discussions, Mme Grand’Maison dit : « Je te regarde, et tout a l’air difficile. Qu’est-ce que tu en penses de venir avec nous à l’hôpital ? Ça faciliterait la démarche. »

La jeune femme refuse. Elle dit qu’elle s’y rendra elle-même plus tard. Les intervenants poursuivent la discussion. M. Beaudet pose délicatement des questions afin d’évaluer le risque suicidaire de la cliente. « Je comprends que tu veuilles te reposer. Que tu es fatiguée. Mais si on va à l’hôpital tout de suite ensemble, ça va être plus facile pour toi », répète Mme Grand’Maison. La jeune femme accepte finalement de les suivre. Ils prennent place dans l’ambulance qui les amènera aux urgences, où la patiente sera évaluée, et peut-être hospitalisée. Une intervention de routine pour l’équipe d’UPS-J.

Gérer la « détresse invisible »

Les interventions de l’équipe d’UPS-J sont très diversifiées. Elle peut aider des personnes âgées en perte d’autonomie qui vivent dans des logements insalubres. Évaluer des personnes suicidaires. Soutenir une personne âgée qui ne mange pas depuis des jours parce qu’elle attend le retour de l’épicerie de son mari, mort depuis des années…

Chef d’administration du programme UPS-J, Chantal Gélinas explique que la mission de l’équipe est « de gérer la détresse invisible ». « Des fois, on amène un client à l’hôpital. Des fois, on les aide à trouver la bonne ressource dans leur milieu. On met en place des services. En gros, on aide à diminuer le phénomène des portes tournantes auxquelles se bute souvent cette clientèle dans le réseau de la santé », résume Mme Gélinas.

Initialement, l’équipe d’UPS-J avait pour mandat d’éviter que des gens avec des problèmes de santé mentale ne se retrouvent dans le système de justice pour des délits mineurs. Si cette mission est toujours d’actualité, l’équipe d’UPS-J doit aussi, depuis 2001, évaluer si une personne dont l’état mental est perturbé présente un danger immédiat pour elle ou pour autrui.

« On se fait appeler par les policiers, les ambulanciers, les organismes communautaires… » énumère Mme Grand’Maison, qui est intervenante à UPS-J depuis 20 ans.

Explosion de la demande

De garde 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, l’équipe d’UPS-J a vu la demande pour ses services exploser ces dernières années.

« On reçoit maintenant 5000 demandes par année. Le nombre d’interventions terrain a augmenté de 52 % en 10 ans, et le nombre de cas où l’on fait du coaching par téléphone a augmenté de 87 %. »

— Chantal Gélinas, chef d’administration du programme Urgence psychosociale-justice

Celle-ci estime qu’une série de facteurs peuvent expliquer cette hausse. « On est de plus en plus connus. Mais les besoins sont aussi de plus en plus là », affirme Mme Gélinas, qui espère prochainement pouvoir augmenter le nombre d’intervenants dans l’équipe afin de répondre à tous les besoins.

Florence Portes, directrice des services aux femmes à la Mission Old Brewery, n’a que de bons mots pour l’équipe d’UPS-J. « Quand une personne se désorganise, ça aide de pouvoir les appeler et avoir des conseils. Et quand une personne se désorganise vraiment beaucoup et qu’on doit la référer à l’hôpital, ça aide d’avoir ces intervenants crédibles pour le faire. Ils nous aident vraiment à plusieurs niveaux », dit-elle.

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