Élections municipales 2017 Chronique

Un maire, un quasi-président

Avec-vous remarqué que, dans les élections municipales, les partis politiques n’ont plus vraiment de nom, et qu’on les désigne de plus en plus par le nom du candidat à la mairie : « Équipe Denis Coderre pour Montréal », « Équipe Labeaume », et même, pour un parti pourtant plus collégial, « Projet Montréal-Équipe Valérie Plante ».

Qu’est-ce qui se passe ? Une transformation troublante de la culture politique ? Le culte de l’image ? Je crois que c’est la forme nouvelle d’une longue tradition, qui trouve ses origines dans la nature même de la démocratie municipale. Et c’est la personnalisation du pouvoir des maires.

La démocratie municipale a une caractéristique unique, radicalement différente de ce que l’on retrouve aux deux ordres de gouvernement supérieurs :  les maires sont élus au suffrage universel. Ce n’est pas un simple détail technique, ça change tout.

Au fédéral ou au provincial, on n’a qu’une croix à mettre sur son bulletin de vote, pour choisir son député. Le gouvernement sera formé par le parti qui a réussi à faire élire le plus de députés. Et le premier ministre ne sera pas vraiment choisi par les citoyens. Ce sera le chef du parti victorieux, qui a été désigné par les membres de ce parti.

Au municipal, les citoyens votent pour leur conseiller, mais aussi, ils votent directement pour le ou la maire. À plus petite échelle, nos élections municipales ressemblent donc davantage à une élection présidentielle ou à celle d’un gouverneur aux États-Unis.

Cela fait une énorme différence. Cette forme de démocratie donne une tout autre signification à la nature du mandat obtenu, lui confère un caractère présidentiel qui mène à une personnalisation du pouvoir. Je parle ici surtout des grandes villes comme Montréal, Québec, Toronto ou Vancouver.

Il se crée en effet un lien direct entre l’électeur et le ou la maire, ce qui lui permet de dire : « Vous avez voté pour moi » plutôt que « Vous avez voté pour nous ». Cette personnalisation se voit à la façon d’un maire de parler de « sa ville », quand un premier ministre ne pourra pas parler de la même façon de « sa province » ou de « son pays ».

La nature du mandat est renforcée par la nature de la mission de l’administration municipale, un gouvernement de proximité, plus près des préoccupations des gens, qui traite souvent de choses très concrètes. Les maires doivent donc, pour réussir, être des politiciens de proximité, ce qui les pousse davantage à être sur le terrain, à voir ce qui se passe dans leurs rues, à écouter les citoyens, à mettre la main à la pâte, à régler eux-mêmes les problèmes, petits et grands.

On est dans l’intervention directe plutôt que dans la délégation, d’autant plus que la lourdeur des administrations municipales, leur efficacité toute relative, les contraintes syndicales plus lourdes que partout ailleurs, nourrissent la tentation de court-circuiter les processus, de passer par-dessus la machine pour faire bouger les choses.

Enfin, les administrations municipales sont tributaires du bon vouloir des instances supérieures et de leur générosité, ce qui exige du maire des talents pour jouer du coude, se faire entendre pour défendre les intérêts de sa ville. Ces rapports de force ne tiennent pas seulement à la personnalité des maires, mais aussi à la nature de leur mandat, le pouvoir énorme que leur confère le suffrage universel. On l’a vu récemment avec l’opposition des deux candidats à la mairie à Montréal à la loi 62 sur le visage voilé.

Cette personnalisation de l’exercice du pouvoir peut prendre diverses formes. Elle contribue à expliquer le style de Denis Coderre ou de Régis Labeaume, plus populiste, autoritaire, capable de jouer du coude.

Elle peut s’exprimer d’une autre façon, comme avec Jean-Paul L’Allier qui, à Québec, était un maire fort, très présent sur le terrain, qui contrôlait sa ville et qui pouvait s’imposer face aux gouvernements supérieurs. À l’inverse, le contre-exemple le plus éloquent, c’est celui de Gérald Tremblay, qui ne savait rien et ne contrôlait rien.

Et quand on a dit que la candidate Valérie Plante devait augmenter sa notoriété, on parlait en fait de la même chose. Son succès, dans cette campagne, c’est d’avoir montré aux électeurs qui l’évaluaient qu’elle avait aussi ce genre d’aptitudes qui en feraient une mairesse avec du tonus et du muscle.

On peut aussi noter que le phénomène n’est pas que québécois. Dans le monde entier, on retrouve des maires parmi les politiciens les plus connus, comme Naheed Nenshi à Calgary, Bill de Blasio à New York, Anne Hidalgo à Paris ou Boris Johnson à Londres jusqu’à l’an dernier. Et quand les villes veulent jouer un rôle international, comme avec Metropolis, ce ne sont pas les administrations municipales qui se réunissent, mais bien les maires.

Mettez tout ça ensemble, et vous découvrirez qu’un maire avec un fond de populisme de bon aloi, près des gens, pouvant bousculer et se faire entendre, qui met la main à la pâte au lieu de déléguer, qui contrôle solidement sa ville, aura pas mal plus de chances d’être un bon maire, capable de « livrer la marchandise ». Ce sont des dispositions que l’on retrouvera bien davantage chez un maire à la personnalité forte qu’avec un technocrate réservé et épris de collégialité.

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