Le Canadien en fait-il assez ?

JOUEURS FRANCOPHONES

Le Canadien a souvent été critiqué ces dernières années en raison de l’absence de joueurs francophones dans son alignement. Des critiques tout à fait justifiées, selon Jean-Pierre Dupuis, professeur au département de management de HEC Montréal et amateur de hockey, qui publie demain son livre Où sont passés les joueurs francophones du Tricolore ? La Presse s’est entretenue avec lui.

Qu’est-ce qui vous a incité à écrire ce livre ?

C’est le discours de la direction du Canadien, qui répète depuis des années qu’elle fait son possible pour en acquérir. Je trouve que c’est un

discours creux. D’un point de vue stratégique, elle ne fait aucun effort. Je démontre d’ailleurs dans le livre qu’elle aurait pu aller chercher des joueurs francophones, mais qu’elle ne l’a pas fait. C’est d’autant plus décevant qu’on voit l’équipe exploiter sa tradition francophone auprès de ses partisans.

De façon générale, qu’avez-vous conclu sur la présence de joueurs francophones chez le Canadien ?

Il n’y en a presque plus, et ceux qui sont là occupent souvent des rôles secondaires. Il me semble aussi qu’il est plus difficile pour eux de s’établir depuis 10 ans. Il y en a eu, comme Steve Bégin ou Mathieu Darche. Mais l’équipe s’est débarrassée d’eux, alors qu’ils jouissaient d’un ancrage dans la communauté. Si le Canadien disait que la présence de francophones n’avait pas d’importance et qu’il ne prenait que les meilleurs joueurs, soit. Or, Pierre Boivin et Geoff Molson ont soutenu le contraire.

Vous qualifiez le repêchage de « voie royale » pour acquérir des joueurs francophones. Que voulez-vous dire ?

Les transactions peuvent permettre de compléter une équipe, mais c’est le repêchage qui constitue sa base. Et pas uniquement au premier tour. Si on prend l’exemple des Blackhawks de Chicago, ils ont bien sûr eu l’occasion de sélectionner Patrick Kane et Jonathan Toews très tôt, mais le défenseur Duncan Keith est un choix de deuxième tour. Même chose pour P.K. Subban et Kristopher Letang, par exemple. Il y a plein de vedettes au deuxième tour, et le Canadien devrait alors y privilégier les joueurs francophones. Serge Savard l’avait compris.

À ce sujet, vous déplorez que les directeurs généraux du CH qui ont succédé à Serge Savard depuis 1995 aient en quelque sorte abandonné la stratégie de ce dernier par rapport à la sélection d’espoirs francophones. Que leur reprochez-vous exactement ?

À l’époque où il était DG du Canadien, Savard ne pouvait pas compter sur les mêmes outils qu’aujourd’hui, notamment en ce qui concerne les joueurs autonomes. Or, il a quand même réussi à mettre la main sur des joueurs francophones. Après lui, le Canadien est devenu une équipe comme les autres, c’est-à-dire qu’il n’y avait pas plus de francophones à Montréal que chez les Penguins de Pittsburgh ou les Flyers de Philadelphie, par exemple.

Aussi, Savard a construit ses équipes en repêchant surtout des francophones aux deuxième et troisième tours. Durant son règne, il a utilisé un choix sur deux dans ces tours pour choisir des francophones. Marc Bergevin en a bien sélectionné dans les tours suivants – quatrième, cinquième et sixième –, mais à ces tours, les chances de choisir un joueur qui parviendra à s’établir dans la LNH tombent.

En même temps, la diminution du nombre de joueurs francophones chez le Canadien ne peut-elle pas s’expliquer par le fait qu’il y en ait moins dans la LHJMQ et dans la LNH en général depuis cette époque ?

Il n’y a pas moins de francophones aujourd’hui qu’à l’époque de Savard. Il y a eu jusqu’à 55 joueurs francophones dans la LNH au moment où il dirigeait le Canadien, tandis qu’on en compte 50 aujourd’hui. Un sommet a été atteint au tournant des années 2000 avec 77 francophones. C’est très cyclique. Depuis trois ou quatre ans, on voit beaucoup de francophones dans la ligue. Malheureusement, le Canadien n’a jamais eu la chance de les acquérir.

On constate aussi un retour de jeunes francophones repêchés très tôt, comme Pierre-Luc Dubois [au troisième rang par Columbus] dernièrement. Je suis conscient qu’il n’est pas toujours possible d’aller chercher des francophones au premier tour, mais au deuxième ? C’est comme si le Canadien avait peur de repêcher au Québec.

Vous abordez également la notion de « diversité culturelle » au sein d’une équipe, plus particulièrement au sein du groupe de joueurs qui composent son noyau. En quoi cette notion est-elle déterminante pour la performance d’un club, selon vous ?

Dans toute organisation, qu’il s’agisse d’une équipe de hockey ou d’une entreprise, l’idée est que les gens doivent coopérer. Au hockey, on appelle cela la chimie. Pour la créer, il doit d’abord y avoir un climat propice. Il est plus facile de créer ce climat dans un milieu homogène.

C’est possible de le faire lorsque le milieu est hétérogène, mais c’est plus difficile. Cela nécessite une sensibilité aux différences culturelles. La plupart des équipes font preuve de cette ouverture, mais cela prend un type de gestion qui est ouvert. Et le Canadien ne l’a pas nécessairement.

Et pourquoi le noyau du Canadien doit-il idéalement être francophone, selon vous ?

Peut-être que le Canadien finira par prouver le contraire, mais en général, les joueurs anglophones ont davantage tendance à vouloir quitter le navire lorsque les choses vont mal. D’ailleurs, la plupart des grands joueurs anglophones de l’histoire du Canadien ont tous fini par partir, alors que les francophones restent, par exemple dans les médias. Ils volent la vedette aux anglophones parce qu’ils sont capables de communiquer avec le public.

Si on veut bénéficier de cet effet de synergie, s’il n’y a que deux ou trois francophones, ça fout le bordel. On l’a vu lorsque Georges Laraque, Pierre Dagenais et Mike Ribeiro ont quitté Montréal. Les francophones doivent se mouler à la minorité anglophone. Je ne vois aucun joueur autonome de 26 ans venir à Montréal, car il sera le seul à subir la pression.

Si la tendance se maintient en matière de présence francophone au sein de l’équipe, quel avenir prédisez-vous au Tricolore pour les prochaines années ?

C’est intéressant, car l’équipe de marketing du Canadien a vraiment réussi à susciter un intérêt pour le hockey, particulièrement chez les jeunes. Mais tout va se jouer si Québec obtient une équipe un jour. Si ce n’est pas le cas, le Canadien sera obligé de performer, mais il n’aura aucun concurrent. Mais si Québec arrive, ça va jouer dur, et ce sera difficile d’aligner des francophones puisqu’il n’y en a aucun en réserve [dans les rangs mineurs]. Québec va ramasser tout ce qui traîne dans la ligue. Mais bien sûr, je ne fais que proposer un point de vue. Je ne détiens pas la vérité !

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