Opinion : Féminisation des titres et des fonctions

L’Académie française capitule enfin

Les immortels rendent les armes et se résignent à la féminisation des titres et des fonctions quatre décennies après l’avis de recommandation publié à la Gazette officielle par l’Office de la langue française. À quoi peut-on attribuer cette reddition alors que les académiciens étaient si farouchement opposés aux titres féminins, contraires à l’esprit de la langue selon eux ?

Peut-être à Dany Laferrière – peu rébarbatif aux féminins – qui aurait exercé son influence et réussi à convaincre ses collègues ? L’excellent collectif, L’Académie contre la langue française, publié en 2015 sous la plume d’Éliane Viennot, a-t-il joué un rôle ? Oui, certainement, car il a mis en lumière les tractations, les lettres aux autorités et les décrets teintés de mauvaise foi et de misogynie des immortels en habit vert pour s’opposer à la féminisation. Pensons aussi à l’amusant essai du linguiste Bernard Cerquiglini, La Ministre est enceinte ou la grande querelle de la féminisation des noms, paru en 2018 au Seuil.

Toutes ces influences se sont exercées, mais c’est avant tout l’usage généralisé des titres féminisés au Québec, en Belgique, en Suisse et en France qui l’a emporté.

La logique de la langue a eu raison de la croisade dogmatique de l’Académie.

Comment expliquer le demi-siècle mis à accepter la féminisation ? Il faut dire que les académiciens sont très prudents et que leurs travaux progressent d’un pas de tortue : entamée en 1986, la neuvième édition de son Dictionnaire n’en est aujourd’hui, 33 ans plus tard, qu’à la lettre S. Dans ces conditions, comment rendre compte de l’évolution de la langue et de l’usage contemporain ? Il est vrai aussi que, depuis la disparition en 1881 du remarquable lexicographe Émile Littré, l’Académie ne compte en ses rangs aucun linguiste, aucun grammairien, aucun philologue.

Maurice Druon doit se retourner dans sa tombe

En 1997, les nouvelles ministres de Lionel Jospin, dont Ségolène Royal et Élisabeth Guigou, souhaitent être nommées madame la ministre, à l’instar de leurs homologues québécoises, font-elles valoir. Elles obtiennent gain de cause au grand déplaisir du Secrétaire perpétuel de l’Académie, Maurice Druon. Voici ce que les lecteurs du Figaro ont pu lire sous sa plume en juillet 1997 : 

« Madame le Ministre,

Monsieur la souris,

Elles sont étranges, ces dames ! Elles gémissent ou glapissent, à longueur de législature, qu’elles sont insuffisamment représentées dans la vie publique, qu’on ne leur attribue pas assez de sièges au Parlement, qu’elles sont victimes d’un injuste discrédit politique ; elles dénoncent le statut discriminatoire dans lequel on les tiendrait ; en un mot comme en cent, elles se plaignent de n’être pas traitées à l’égal des hommes. Or, dès qu’elles le sont, les voilà qui exigent de se faire reconnaître une différence. Qui a donc dit qu’elles n’étaient pas les mieux douées pour la logique ?

Quatre femmes membres du gouvernement, et non des moindres, ont résolu de se faire appeler Madame la Ministre. Ah ! La belle nouveauté ! […] Libre à nos amies québécoises, qui n’en sont pas à une naïveté près en ce domaine, de vouloir se dire une auteure, une professeure ou une écrivaine ; on ne voit pas que ces vocables aient une grande chance d’acclimatation en France et dans le monde francophone. »

Les amies québécoises n’en sont peut-être pas à une naïveté près, mais n’en déplaise à Monsieur le Secrétaire perpétuel, ce sont elles qui ont conduit le bal, et les formes auteure ou écrivaine se sont parfaitement acclimatées en France et dans le monde francophone !

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