Chronique image corporelle

Bienvenue, la diversité

Quand j’ai traversé l’adolescence, la diversité corporelle n’existait juste pas dans les médias.

Toutes les femmes que l’on mettait en scène, à la télé, au cinéma, dans la publicité, dans les reportages mode des magazines étaient blanches et d’une minceur impressionnante, comme les Anges de Charlie ou Isabelle Adjani.

Vous connaissez la sublime Ines de la Fressange ? Elle était spectaculaire et l’est encore. Mais elle constituait le seul modèle proposé. La prothèse mammaire n’avait pas encore du tout connu son actuelle normalité, l’esthétique Twiggy faisait encore des vagues à travers des personnages magnifiques comme Jane Birkin. Et la beauté de Marilyn ou d’Elizabeth Taylor des années 50 et 60 ? On en parlait comme si c’était exquis, mais irréel. Dans la vraie vie, elles n’étaient pas des références. Dans la vraie vie, il fallait avoir l’air de Mireille Darc.

Des seins ? Des fesses ? Des jambes qui ne ressemblent pas à des baguettes chinoises ?

Celles qui en étaient dotées de façon rebondie se voyaient, dès leurs 9 ans, 11 ans, 13 ans, déjà condamnées à être les rondes de service ou perpétuellement au régime avec toutes les dérapes qu’on connaît.

Quand Madonna est arrivée sur scène dans les années 80 en osant avouer ouvertement qu’elle portait, oui, des soutiens-gorges non pas par choix, mais par nécessité, ce fut une bombe. La dominance des 32A venait d’être effritée. À partir de ce moment-là, la conception du corps de la femme a pratiquement basculé.

Ont donc suivi des années différentes, plus courbées, plus formées, de plus en plus pigeonnantes. C’est à cette époque, par exemple, qu'Anna Nicole Smith, la très plantureuse, s’est fait connaître par une grande campagne pour la marque Guess. Mais la transformation a pris du temps. Madonna elle-même est devenue obsédée par la minceur et les mannequins à la Stella Tennant ou Kate Moss ont continué d’imposer leur silhouette.

Mais doucement, doucement, les mentalités ont poursuivi leur changement – le marché se rendant bien compte de la nécessité de vendre des vêtements et des images de marketing à toutes – et tranquillement, tranquillement, les féministes aussi se sont mises à parler, reprenant le travail de leurs consœurs des années 70 là où elles l’avaient laissé, pour faire comprendre que la lutte pour la liberté et l’égalité passait aussi par le respect des corps. On pense ici aux travaux de Suzie Orbach avec son Fat is a Feminist Issue ou à Naomi Woolf, auteure de The Beauty Myth, ou encore à la Québécoise Danielle Bourque avec À dix kilos du bonheur, où chacune ont réussi à dénoncer à leur façon comment l’esclavage à l’image et à une minceur extrême empêchait les femmes d’aller au bout de leur potentiel, de leur liberté et de se faire respecter.

Alors que ces discours et ces discussions s’installaient, les corps représentés dans les médias et exposés à nos filles et à nos garçons ont continué à changer petit à petit.

Sont même arrivées les courbes qu’on présentait souvent, au départ, dans leur forme bien marquée. On pense à la très ronde chanteuse Beth Ditto à la une du magazine Rolling Stone ou à Cristal Renn et tous les autres fameux mannequins dits « tailles plus » présentées dans les campagnes de pub et dans les magazines pour vendre, finalement, des vêtements aux femmes portant des tailles supérieures.

Rendu dans les années 2000, la diversité commençait enfin à prendre sa place. Ne manquait plus qu’un format : les « pas spéciales ». Les pas super rondes ni super minces, les tailles 8 ou 10 ou 12. Ces tailles moyennes dont personne ne parlait jamais alors qu’elles représentent quand même une bonne part de la population. Et c’est là que les Jennifer Lopez, Beyoncé, Rihanna, Lena Dunham et autres personnages à la Kim Kardashian se sont finalement imposés avec leurs formats différents. Ni maigres ni « ronds », ni mieux ni pires que ceux de Cindy Crawford ou Farrah Fawcet. Juste pas pareils. Merci, les Afro-Américaines et les Latinas parce que ce sont elles, finalement, avec leurs références culturelles différentes, qui ont ouvert cette voie. Et il était temps.

En 2016, sommes-nous enfin arrivés à une représentation réellement diversifiée des corps de femmes – et d’hommes – dans les médias ?

Non. Mais ciel, qu’est-ce qu’on en a fait, du chemin.

Je vous entends ici dire que toutes ces Lady Gaga, et même Adele, ne représentent pas la normalité parce qu’elles sont traitées au Botox, aux prothèses, aux extensions de cheveux et de cils en tous genres et que chaque ride a son remplisseur. C’est clair, ne soyons pas dupes. Cette beauté diversifiée coûte cher et n’est pas accessible à tous et n’est pas « naturelle » comme Dove aimerait qu’on le soit. Et si le simple mot « Kim » vous défrise, sachez que là-dessus, on ne s’entendra peut-être jamais. Je ne suis pas une fan du matérialisme du personnage, mais si elle avait existé, avec son image, il y a 40 ans, on aurait entendu pas mal moins de copines de classe se faire vomir dans les toilettes.

Donc, on avance quand même un peu même s’il est difficile d’accepter, cette semaine, qu’un homme qui a ouvertement exprimé son mépris envers la diversité corporelle des femmes par mille commentaires désobligeants ait été élu président. Mais regardons le verre à moitié plein et surtout, n’ayons pas peur de le boire, qu’il contienne de l’eau ou du lait au chocolat, car comme ils ont dit en France en 1789 : « À bas le régime ! »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.