Éditorial

La banque qu’on ne peut nommer

Le secret entourant la première banque canadienne pénalisée en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes est extrêmement dérangeant. Le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) dit avoir fait ce choix pour envoyer un message dissuasif plus rapidement. Malheureusement, l’effet dissuasif sur l’ensemble du secteur financier s’en trouve dangereusement émoussé.

L’organisme fédéral, qui a un mandat de détection et de dissuasion en matière de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, a confirmé cette semaine avoir imposé une pénalité de 1,15 million de dollars à une banque.

Mais l’institution financière, contrairement à d’autres entreprises mises à l’amende récemment, n’a pas fait l’objet d’un avis public. Le Centre a usé de son pouvoir discrétionnaire et décidé ne pas l’identifier.

On a agi ainsi « afin d’envoyer un message de dissuasion maintenant et d’encourager un comportement de conformité amélioré aussi rapidement que possible », nous a indiqué une porte-parole par courriel. L’expérience a en effet montré que le processus de révision et d’appel peut prendre des années, durant lesquelles les détails du cas ne peuvent être divulgués, a-t-elle précisé.

C’est malheureux, car l’affaire n’est pas banale. Non seulement c’est une première dans le secteur bancaire, mais cette pénalité de 1,15 million est exceptionnelle. Le total des procès-verbaux transmis par le Centre entre 2008 et 2015 n’atteint même pas 5,2 millions de dollars.

Les violations de cette banque non identifiée sont reliées au fait de ne pas avoir déclaré divers éléments, dont une opération douteuse et la réception d’au moins 10 000 $ en espèces au cours d’une seule opération. Il est aussi question d’un télévirement, à l’étranger et de l’étranger, d’au moins 10 000 $ en une seule opération.

Sans les révélations des Panama Papers, qui ont monopolisé l’attention autour des transactions financières douteuses, cette histoire aurait fait beaucoup plus de bruit. En même temps, l’anonymat accordé à cette banque est encore plus dérangeant dans le contexte actuel, alors que des centaines de particuliers et d’entreprises se voient forcés d’expliquer leur présence sur ces listes de sociétés offshore.

Certes, il y a des précédents. Des 74 entités mises à l’amende jusqu’ici par le Centre, 34 n’ont pas été identifiées. Dans ce cas précis, toutefois, l’absence de nom alimente les spéculations. Les six grandes banques canadiennes disent ne pas être impliquées. Il pourrait s’agir d’une petite institution parce qu’il lui est aussi reproché « de ne pas élaborer et appliquer des principes et des mesures de conformité écrits […] approuvés par un de ses dirigeants ».

On peut comprendre que le Centre ait choisi « un tiens » plutôt que deux « tu l’auras », et préféré une amende exemplaire à des procédures incertaines.

L’ennui, c’est que les entreprises peu scrupuleuses ont tendance à considérer que les pénalités auxquelles elles s’exposent font partie des risques d’affaires. En protégeant ainsi l’identité d’un contrevenant, le Centre donne à penser que le prix à payer se limite au montant de l’amende, et que les institutions financières n’ont rien à craindre pour cet actif inestimable qu’est leur image. Dans le genre dissuasif, on peut imaginer mieux.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.