Chronique

Fertilité, argent et éthique

Le gouvernement libéral n’a pas encore annoncé ce qu’il fera avec le programme d’aide à la procréation assistée qu’il a lui-même mis en place en 2010. Va-t-il carrément l’abolir ? Le restreindre ?

On le saura à l’automne quand le gouvernement déposera un projet de loi sur la question.

Mais il est maintenant évident que le programme très ouvert qui roule depuis quatre ans ne continuera pas tel quel.

Vendredi, le Commissaire à la santé et au bien-être, Robert Salois, a rendu public un rapport où il enjoint au gouvernement à baliser plus clairement et plus restrictivement l’accès au programme. Parce que les coûts dépassent les prévisions. Et parce que les objectifs du programme ne semblent pas aussi clairs qu’ils le devraient.

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Les couples infertiles demandaient depuis des années que le gouvernement ouvre la couverture des soins de santé à la fécondation in vitro (FIV) et autres procédures non couvertes par la Régie de l’assurance maladie du Québec, mais tout a vraiment décollé en 2010, quand l’animatrice Julie Snyder, qui a eu recours à des traitements pour tomber enceinte de ses deux enfants, est allée en commission parlementaire demander que le Québec aide financièrement les couples infertiles à avoir recours à la médecine.

Tout le monde n’a pas les moyens que j’ai, avait-elle alors fait valoir, pour obtenir de tels services médicaux. Et il n’est pas juste, pas équitable, avait-elle dit en substance, que les traitements de fertilité échappent à l’universalité des soins de santé.

Vous rappelez-de la scène ? Julie Snyder était en commission parlementaire pour présenter son point de vue et celui des couples infertiles, et Philippe Couillard, ministre de la Santé à l’époque, ne l’écoutait pas, riait avec des collègues. L’animatrice l’avait souligné publiquement, avait fait remarquer à tous, devant la caméra, que le ministre de la Santé ne semblait pas la prendre au sérieux.

Doit-on en conclure que M. Couillard, aujourd’hui premier ministre, n’a jamais cru à l’importance de couvrir financièrement tous les soins de fertilité ?

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Même avant le changement du programme, il y a quatre ans, pour couvrir les traitements de fécondation in vitro, la RAMQ veillait déjà sur le financement de plusieurs actes médicaux liés à la fertilité. Opérations, stimulation ovarienne, etc. La couverture de la FIV est venue compléter le programme et le rendre en quelque sorte plus équitable, en mettant fin à une sorte de discrimination entre les raisons médicales de l’infertilité.

Le débat s’est toutefois maintenant élargi car on réalise, dans la foulée de la controverse lancée par la grossesse par mère porteuse de l’animateur Joël Legendre, que le programme de FIV dépasse les questions médicales.

Aujourd’hui, il faut donc répondre à cette question fondamentale : l’État doit-il aider financièrement les Québécois qui ne peuvent avoir d’enfants strictement pour des raisons médicales ? Ou doit-il aider toutes les personnes qui ne peuvent avoir d’enfants, incluant ceux qui ne le peuvent pas pour des raisons biologiques, comme les couples de même sexe, les femmes seules, etc. ?

Et il ne faudrait surtout pas commencer à chercher des réponses qui nous plaisent uniquement parce qu’elles permettent de faire dégonfler la note.

Car il y a bien plus que les questions de dépassement de coûts dans ce débat. Il y a mille questions éthiques.

S’il n’en était que de moi, il n’y aurait plus jamais aucun débat sur le droit des couples de même sexe d’avoir des enfants. Je réponds oui à cette question, c’est l’évidence même.

Mais la couverture des FIV pour les couples de sexe masculin ouvre la discussion sur les mères porteuses et là, les réponses sont moins claires. Comment encadre-t-on cette pratique ?

Le tout force aussi un débat sur les implantations d’embryons multiples. Doit-on l’interdire ? Oui, cela permet de « rentabiliser » chaque cycle en augmentant la chance de réussite, mais que fait-on des risques pour la santé des bébés ? Lorsque la couverture de la FIV a été annoncée, on disait qu’il y aurait moins de pression financière sur les couples, donc moins d’implantations multiples et qu’éventuellement, cela réduirait les risques médicaux et les coûts liés aux grossesses de jumeaux et de triplés. Mais veut-on vraiment qu’un débat social sur ces questions porte uniquement sur des questions d’argent ?

N’est-il pas temps qu’on parle d’éthique en premier et de fric en second ?

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Vendredi, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, n’a pas pu s’empêcher de parler du programme de couverture des traitements de fertilité comme d’un poids budgétaire.

Il est clair que l’argent fait partie des facteurs à considérer quand on parle de tels programmes, mais n’y a-t-il pas assez d’enjeux d’abord et avant tout humains et éthiques pour lancer un dialogue national sur la question ?
Doit-on toujours parler d’argent ? Toujours, toujours, juste d’argent ?

Et puis où commence-t-on à calculer, de toute façon ?

Le programme de garderie, par exemple, rapporte plus à l’État en retombées fiscales qu’il ne coûte à la société. Grâce à toutes les mères qui peuvent ainsi aller travailler à l’extérieur, grâce aux impôts qu’elles versent, grâce aux taxes que leur permet de payer leur pouvoir d’achat augmenté. Des études universitaires l’ont démontré.

Un programme social, ce n’est pas juste une dépense. Si on choisit de mettre en place de telles mesures collectives, c’est parce qu’on les considère comme des investissements dans notre avenir, non ? Investissements tangibles et intangibles. Faire plus de bébés, c’est la suite du monde de mille façons. Doit-on chiffrer le tout ?
Peut-être, pour aider les économes et économistes à réaliser que faire des bébés n’est pas un caprice dont les couples infertiles nous demandent de faire les frais.

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