Grande entrevue

Si le DG d’Uber Québec était...

UNE VILLE

Montréal. Après avoir vécu à Hong Kong et en Europe, Montréal est la ville où il se sent le mieux.

UN MOYEN DE TRANSPORT

UberPool. Pour les rencontres et le contact humain.

UNE RÉVOLUTION

La Révolution tranquille, qui a mis fin à la Grande Noirceur et a encouragé un mouvement d’affirmation nationale.

UN PERSONNAGE HISTORIQUE

Martin Luther King parce qu’il a consacré sa vie à une cause.

UNE IDÉE POLITIQUE

La démocratie, qui redonne le pouvoir aux gens.

UN CLUB DE HOCKEY

Le Canadien de Montréal, dans ses hauts comme dans ses bas.

UNE SÉRIE TÉLÉ

Suits, l’histoire d’un jeune homme brillant, mais sans diplômes, embauché dans une importante firme d’avocats.

UNE CHANSON

I Stand by You des Pretenders, qu’il dédie à celle qu’il a épousée il y a cinq ans.

Grande entrevue Jean-Nicolas Guillemette, DG d’Uber Québec

L’appât du changement

Jean-Nicolas Guillemette, directeur général d’Uber Québec, n’a jamais vendu de frigo à un Esquimau. Mais il a déjà essayé de vendre des souffleuses à neige à des Mexicains.

C’était au cours d’une mission économique pour jeunes entrepreneurs canadiens. Le futur directeur général d’Uber Québec était commandité par un fabricant de cercueils, un producteur de sirop d’érable et une entreprise de souffleuses à neige. Avec l’énergie et la force de persuasion qui sont encore les siennes, il a donc tenté de convaincre l’administration de l’aéroport de Mexico qu’elle avait un urgent besoin de souffleuses advenant une hypothétique et peu probable tempête de neige. 

Guillemette n’a convaincu personne, mais qu’il ait tenté le coup en dit long sur sa personnalité et illustre bien pourquoi aujourd’hui, à seulement 33 ans, il est à la tête d’Uber Québec, une entreprise de covoiturage furieusement controversée qui regroupe Uber taxi, avec des chauffeurs de taxi indépendants, UberX, avec des particuliers qui font du transport à l’aide de leur propre véhicule, et UberPool, qui fonctionne selon le principe des taxis collectifs, tout cela en dehors de tout cadre légal et juridique.

J’ai voulu rencontrer Jean-Nicolas Guillemette, un natif de Victoriaville qui descend d’une longue lignée d’agents d’assurances et qui a brièvement travaillé aux côtés de feu Marcel Côté chez Secor, parce qu’il est en ce moment l’ennemi numéro un de bien des gens : au gouvernement comme à la mairie de Montréal et dans l’industrie du taxi.

Je parie que plus d’un chauffeur de taxi se réveille la nuit pour le haïr, lui et sa multinationale pirate, fondée à San Francisco par un Américain et un Canadien, mais maintenant établie aux Pays-Bas et aux Bermudes et implantée dans 375 villes du monde entier.

Je me demandais quel genre d’animal pouvait supporter autant d’adversité et collectionner autant d’ennemis, et surtout pourquoi. Pourquoi vouloir naviguer dans des eaux aussi tumultueuses ?

Pas très grand, le cheveu ras, le corps trapu et la poignée de main ferme, Jean-Nicolas Guillemette m’attendait au milieu des nouveaux locaux d’Uber avec une réponse toute prête : 

« Pour le changement. Je fais ça parce que changer les choses, c’est un idéal pour moi. Ce qui me passionne avec Uber, c’est l’impact direct qu’on a sur la façon dont les gens se déplacent en ville. »

— Jean-Nicolas Guillemette

« J’ai le sentiment de participer à une révolution qui comble un besoin réel, tant chez nos partenaires chauffeurs qui veulent rentabiliser l’actif de leur voiture que chez les milliers de consommateurs qui nous utilisent. Quand on pense que seulement au mois de janvier, Uber Québec a enregistré 450 000 requêtes, ce n’est pas rien. »

Guillemette, qui a brandi le même chiffre en commission parlementaire, s’est fait répondre par le ministre Daoust : « Je ne comprends pas votre logique à vous réjouir d’avoir abusé du système 450 000 fois. »

Pour ma part, je demande au directeur général quelle crédibilité accorder à ce chiffre magique qu’il balance sans preuves à l’appui. D’un geste large, il m’indique les locaux modernes situés au septième étage du complexe le Nordelec dans Pointe-Saint « On n’aurait pas investi un million dans ces locaux si nous n’avions pas connu une croissance exceptionnelle dans la dernière année. »

Une croissance exponentielle, certes, mais qui se déploie impunément en dehors de tout cadre légal, ce que Guillemette admet tout en revendiquant une réglementation de la part du gouvernement.

Il y a seulement deux ans et demi, en octobre 2013, Guillemette lançait le premier service Uber au Québec dans un demi-sous-sol pas chauffé au coin de Clark et de Sherbrooke, avec un seul employé. Aujourd’hui, l’entreprise compte 25 employés, ce qui est peu, compte tenu des profits générés. Selon Guillemette, cette « légèreté » structurelle est ce qui fait la beauté d’Uber, qui ne s’encombre pas de flottes de voitures, de garages, de mécaniciens et de la quincaillerie coûteuse des entreprises de taxis.

LA BATAILLE DES RELATIONS PUBLIQUES

Dans les faits, Uber est une plateforme marchande qui se vante de placer le consommateur au centre de ses préoccupations et de son service. C’est vrai à cette nuance près que ce qui est aussi au cœur de son service, c’est la carte de crédit du client, enregistrée une seule fois et qui sert pour toutes les courses.

À cette carte de crédit, clé de voûte du système Uber, s’ajoute un algorithme qui détermine le prix des courses et les fait monter et descendre selon la demande.

Le directeur général d’Uber Québec s’émerveille de ce nouveau modèle économique qui, selon lui, s’avère bénéfique tant pour les particuliers qui y arrondissent leurs fins de mois que pour les usagers qui se déplacent à moindre coût, sauf évidemment à certaines occasions. Dernièrement, dans la nuit du 31 décembre, une cliente qui voulait un transport immédiat a reçu une facture salée de 400 $ pour une course de Laval au centre-ville de Montréal.

Pour justifier ce prix exorbitant, le directeur général explique que la cliente a confirmé à deux reprises qu’elle acceptait le prix de la course. Il ajoute aussi que la seule façon d’avoir des chauffeurs pendant les congés, c’est en leur permettant de gagner plus d’argent.

Mais Guillemette comprend que dans ce cas-là et dans d’autres, Uber a souvent perdu la bataille des relations publiques.

« On est rentrés là-dedans comme une gang de jeunes qui ont décidé de s’attaquer à un monopole. On a défoncé des portes et on a aussi frappé des murs, mais on s’est toujours relevés tant on était convaincus de la nécessité d’un changement. »

— Jean-Nicolas Guillemette

Sauf qu’on ne change pas les structures ni les mentalités sans faire de dégâts.

Sous l’économie de partage proposée par Uber, se cache aussi une concurrence déloyale à l’égard des chauffeurs de taxi, pris avec des charges lourdes et coûteuses dont Uber n’a pas à se préoccuper. Combien de chauffeurs de taxi vont se retrouver au chômage ou alors dans l’obligation de travailler le double d’heures pour moins d’argent à cause d’Uber ?

Guillemette ne s’en inquiète pas outre mesure, affirmant que la concurrence est ce qui fait avancer les sociétés et encourage tout le monde à donner le meilleur de soi. Peut-être, mais ce qu’Uber encourage aussi, c’est la marchandisation du privé dans un monde où finalement tout peut être à vendre.

« Pourquoi un citoyen qui possède un actif comme une auto n’en profiterait-il pas ? demande Guillemette. Surtout que les autos coûtent de plus en plus cher et qu’Uber permet à bien des gens de régler leurs paiements mensuels. »

À ce compte-là, pourquoi vouloir posséder à tout prix une auto si on n’en a pas les moyens ? Mais de telles considérations ne rentrent pas dans la logique marchande d’Uber ni de son directeur général. Celui-ci insiste quand même pour affirmer que l’argent n’est pas sa priorité numéro un, mais arrive seulement au troisième rang dans la vie. 

Avant l’argent, ce qui compte pour ce père de deux gamins qui, au nom du changement, n’a pas voulu reprendre l’entreprise familiale fondée par son arrière-grand-père, c’est d’éprouver du plaisir dans son travail. 

En deuxième, c’est le sentiment de « faire une différence ». Et à ce chapitre, Jean-Nicolas Guillemette ne se trompe pas. Uber fait une différence. L’avenir nous dira si elle est bonne ou mauvaise.

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