OPINION

TENUE VESTIMENTAIRE À L’ASSEMBLÉE NATIONALE
S’habiller, c’est d’abord et avant tout exister socialement

Le t-shirt de Catherine Dorion à l’Assemblée nationale a beaucoup fait jaser la semaine dernière.

À l’ère de la quête d’authenticité et de la mise en valeur de l’individualisation, ceux et celles qui ont ressenti un malaise face à la tenue décontractée de la députée de Taschereau se sont sûrement sentis ringards de s’opposer à la liberté d’expression liée au choix vestimentaire d’une jeune femme aussi brillante et sensible qu’elle. Comment ne pas avoir l’air superficiel en s’attaquant au look jeune et branché de cette nouvelle députée à l’allure plutôt sympathique ?

Pourtant, le malaise provoqué par la tenue de Mme Dorion s’explique. L’apparence des individus est loin d’être futile dans la facilitation d’un vivre-ensemble harmonieux et égalitaire. 

Toute personne désireuse de s’intégrer dans un groupe adoptera consciemment ou non les codes de l’apparence de ses membres. Cela vaut autant pour les tribus lointaines d’Amazonie que pour les gens d’affaires, les amateurs de tango, les adeptes du rap, du rock, des sports extrêmes ou du bingo. Les codes de l’apparence contribuent depuis toujours à lier et à identifier les membres d’une même communauté. Ils créent un lien d’appartenance indispensable au groupe. Ne pas se plier aux codes du groupe, c’est donner l’impression de vouloir s’en dissocier.

La préséance de l’individu

Les choses ne sont cependant pas si simples, puisque dans nos sociétés occidentales contemporaines, c’est l’individu qui a préséance sur la communauté. La mode est d’ailleurs une des manifestations les plus évidentes du développement de la démocratie et de l’individualisme. En même temps que la démocratie a favorisé l’éclatement des interdits et la dépréciation de la hiérarchie, elle a donné au respect de l’individualité une signification morale.

Il n’est donc pas étonnant que les gens, et particulièrement les jeunes, ne veuillent plus s’habiller pour répondre à des règles établies et qu’ils disent ne pas se préoccuper de la façon dont les autres les perçoivent.

Pourtant, leur je-m’en-foutisme vestimentaire produit paradoxalement un désir radical de reconnaissance sociale. Plus on se distingue par son apparence, plus on a besoin du regard des autres. Par ailleurs, il est faux de penser qu’on s’habille uniquement pour soi. 

L’apparence d’un individu n’est jamais neutre ; elle déborde d’informations qui faciliteront ou rendront difficile son rapport aux autres. Les gens ont tendance à l’oublier, mais s’habiller, c’est d’abord et avant tout exister socialement.

Un look marginalisé cristallise toujours un effort d’esthétisation qui rend compte d’une survalorisation de l’apparence, laquelle sous-entend que la personne ne se contente pas « d’être », mais qu’elle a surtout besoin de faire savoir qui elle est. C’est dire qu’une mise en scène corporelle trop singulière au sein d’un groupe risque d’être interprétée comme un manque de respect envers les autres.

Par exemple, porter un jean et un t-shirt déchiré à un mariage traditionnel peut choquer les nouveaux époux pour qui l’événement revêt un caractère solennel. De la même façon, un look qui détonne au travail peut nuire non seulement à l’intégration de l’employé et à ses chances d’avancement, mais également à l’image de l’entreprise. Mais attention, le « bon goût » ne renvoie pas à un idéal prédéfini de l’apparence. Un habillement à connotation morbide peut avantager un vendeur qui travaille dans une boutique gothique, alors qu’il risque de heurter la sensibilité de la clientèle d’un spa champêtre. 

L’intelligence vestimentaire, c’est savoir s’habiller pour faciliter ses interactions sociales tout en mettant en valeur sa personnalité.

Dans le cas de Catherine Dorion, ce n’est pas son look qui dérange. Sa marginalité vestimentaire se fond dans le lexique de la mode contemporaine. Des jeunes habillés comme elle, on en voit partout. Ce qui dérange, c’est son look dans le cadre de son travail, parce que son choix vestimentaire ne tient pas compte des autres… des autres qu’elle représente désormais : les citoyens qui l’ont élue, les citoyens de Taschereau qui n’ont pas voté pour elle, les membres du parti Québec solidaire, les membres de l’Assemblée nationale et la relève des femmes en politique. Et comme elle le dit si bien dans son très beau discours : « nous avons besoin les uns des autres ».

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