Chronique

Sexe, prof et université

On apprenait cette semaine que la prestigieuse Université Harvard a adopté un règlement interdisant les relations sexuelles et amoureuses entre professeurs et étudiants du premier cycle. Interdiction nécessaire et courageuse ou mesure paternaliste et puritaine ?

La question est aussi complexe que délicate. Elle suscite de vives discussions sur les campus d’universités américaines, où des problèmes d’agressions sexuelles ont fait les manchettes. Au printemps dernier, l’administration Obama a rendu publique une liste de 55 établissements d’éducation supérieure faisant l’objet d’une enquête fédérale concernant la gestion de plaintes pour agressions sexuelles. L’Université Harvard en faisait partie.

Chez nous, dans la foulée de l’affaire Ghomeshi et du mouvement #AgressionNonDénoncée, les mêmes questions suscitent également bien des débats. L’automne dernier, en pleine controverse autour d’une désolante campagne de dénonciation anonyme à l’UQAM, un colloque organisé par la professeure Martine Delvaux était consacré aux rapports amoureux entre professeurs et étudiantes. Il a permis de jeter les bases d’une discussion sérieuse sur un sujet qui demeure encore tabou.

Peut-on faire fi du rapport de pouvoir qui existe entre un professeur et une étudiante ? Peut-on parler de consentement quand il y a un rapport de pouvoir ? Un professeur en situation d’autorité qui séduit des étudiantes à répétition pendant des années n’abuse-t-il pas de son pouvoir ? Le rapport professeur-étudiant n’est-il pas semblable à certains égards à celui qui existe entre un médecin et son patient ? Si le code de déontologie des médecins décourage explicitement les relations sexuelles avec un patient, pourquoi n’établit-on pas des balises aussi claires quand il est question de la relation entre professeurs et étudiants ?

Vue sous cet angle, l’idée d’établir des balises pour mieux encadrer les relations professeurs-étudiants et prévenir les abus semble aussi raisonnable que nécessaire. En même temps, difficile de ne pas voir dans une interdiction une intrusion dans la vie personnelle de gens qui sont majeurs et vaccinés. Où s’arrête la prévention et où commence le paternalisme ?

En interdisant clairement toute relation amoureuse entre professeurs et étudiants, Harvard se défend d’être « trop paternaliste ». « J’aime penser qu’il ne s’agit pas de dire aux étudiants avec qui ils peuvent avoir des relations sexuelles. Il s’agit plutôt de dire aux enseignants avec qui ils ne peuvent pas avoir de relations sexuelles », a dit au Washington Post la professeure qui a dirigé le comité de rédaction du nouveau règlement.

Pour les étudiants de premier cycle, ce règlement, élaboré dans le cadre d’une révision de la politique de Harvard sur le harcèlement sexuel, ratisse large en interdisant les relations « romantiques ou sexuelles », que l’enseignant soit celui de l’étudiant ou non. Pour les étudiants à la maîtrise et au doctorat, l’interdiction ne vise que leurs propres enseignants ou directeurs de thèse.

En adoptant cette politique, Harvard emboîte le bas à un petit nombre d’universités américaines, incluant Yale et l’Université du Connecticut, qui prennent les grands moyens pour prévenir le harcèlement sexuel sur leur campus. Chez nous, aucune université ne va aussi loin qu’interdire les relations professeurs-étudiants. Par exemple, l’Université de Montréal a une politique contre le harcèlement, une politique sur les conflits d’intérêts et un règlement disciplinaire qui, mis ensemble, peuvent englober ces situations. Mais elles ne sont pas explicitement interdites.

Même chose à l’Université Concordia. « Nous ne disons pas aux professeurs et aux étudiants : “Vous pouvez ou vous ne pouvez pas”, me dit la porte-parole Christine Mota. Ce sont des adultes. Ils peuvent prendre leurs propres décisions. Mais si un incident de harcèlement ou une situation d’iniquité survient, on a des politiques qui permettent d’avoir des recours. »

Serait-il souhaitable que les universités aillent plus loin ? À mon sens, oui. Mais je doute que l’interdiction paternaliste soit la voie à suivre. Je miserais davantage sur des codes de déontologie plus explicites et des campagnes d’information musclées. Pour lever le silence sur ces questions qui sont malheureusement vite retombées dans l’oubli après la campagne #AgressionNonDénoncée.

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