Hockey

« C’était le cœur et l’âme de ce club »

Jay Feaster, ancien directeur général du Lightning, revient sur les débuts de Martin St-Louis, dont le chandail sera retiré par l'équipe ce soir.

À l’aube des cérémonies visant à retirer le chandail numéro 26 de Martin St-Louis par le Lightning de Tampa Bay, ce soir en Floride, Jay Feaster a fait préparer une copie du premier contrat du Québécois avec l’organisation.

Tampa lui offrait un contrat garanti de deux ans à un salaire somme toute modeste de 250 000 $ par année, mais le directeur général Rick Dudley et Feaster, son adjoint à l’époque, avaient eu toutes les difficultés du monde à convaincre les propriétaires d’investir cette somme dans ce joueur méconnu.

« Il faut se remettre dans le contexte de l’époque, rappelait Feaster hier au bout du fil avec La Presse. Le Lightning perdait beaucoup d’argent. Quand on se rendait à Detroit pour nos meetings avec le propriétaire, monsieur Davidson nous prévenait qu’il ne voulait pas signer de chèque de plus de 15 millions par année pour couvrir les dettes. Même 250 000 $, c’était gros. »

« Nos patrons ne voulaient pas être pris avec un joueur qui n’avait jamais été repêché, non établi dans la LNH et dont le contrat venait d’être racheté par les Flames de Calgary. »

— Jay Feaster, ancien directeur général du Lightning

Dudley n’en démordait pas, il voyait en St-Louis, en dépit de sa petite taille, un attaquant aux qualités exceptionnelles.

« Finalement, comme principal argument de "vente", Rick m’a dit de mentionner aux propriétaires que si St-Louis ne parvenait pas à obtenir un poste avec nous, un club de la Ligue américaine ou de la Ligue internationale accepterait sans doute de l’accueillir et d’assumer une portion importante de son salaire puisque ces organisations à l’époque étaient prêtes à investir des montants importants pour des joueurs autonomes. Comme je travaillais depuis plusieurs années dans le milieu des circuits mineurs professionnels, j’ai pu faire accepter l’idée plus facilement. »

Des doutes

Feaster a façonné ce contrat alors qu’il se trouvait chez son beau-fils, à Rockville, au Maryland. Il se souvient encore de la date : le 31 juillet 2000. Il a envoyé le document par télécopieur et a reçu la copie signée quelques heures plus tard.

Mais même Feaster semblait sceptique. « Je connaissais ses exploits au niveau collégial, et bien franchement, à titre de directeur général adjoint, j’avais un intérêt pour Martin St-Louis et Éric Perrin pour le club-école des Bears de Hershey. Je ne savais pas s’il était de calibre de la LNH. »

Ses doutes ne sont pas atténués lorsque St-Louis, 25 ans, 5 pieds 7 pouces, s’est présenté au camp d’entraînement. « Je l’ai trouvé très petit. En plus, il avait encore un visage d’adolescent. »

« C’était un petit attaquant dans une jungle de géants. »

— Jay Feaster, ancien directeur général du Lightning

« Je me suis demandé si on n’avait pas fait une gaffe. En plus, Rick Dudley répétait sans cesse qu’il voulait grossir l’équipe. On cherchait des joueurs de 6 pieds 6 pouces et plus. »

Feaster a été rassuré davantage quelques jours plus tard quand il a vu St-Louis en shorts lors d’exercices en gymnase.

« Quand j’ai vu ses jambes, j’ai dit : wow ! Intéressant ! Il est peut-être petit, mais regardez ses jambes. Je me souviens de cette réplique dans le film Miracle, où l’acteur qui personnifie Herb Brooks affirmait à ses joueurs que la capacité des loups à atteindre leurs proies pour se nourrir résidait dans la force de leurs jambes. »

La consécration

St-Louis a connu une première saison intéressante avec le Lightning : 40 points, dont 18 buts, en 78 matchs.

Sa carrière allait prendre son envol la saison suivante avec l’arrivée de John Tortorella derrière le banc. « Et pourtant, je ne crois pas que John savait comment l’utiliser au début, mentionne Feaster. Son temps de jeu était réduit. Un jour, Martin, frustré par son utilisation restreinte, est entré dans le bureau de John et l’a imploré de lui donner une chance. Il lui a répondu qu’il aurait sa chance, mais qu’il avait besoin d’en profiter. »

Moins de deux ans plus tard, Martin St-Louis soulevait la Coupe Stanley après avoir remporté le championnat des compteurs de la LNH avec 94 points…

Rick Dudley, l’homme derrière l’arrivée de St-Louis, Tortorella, Khabibulin et Lecavalier à Tampa, aujourd’hui à l’emploi du Canadien, avait été congédié un an plus tôt, remplacé par Feaster.

« Il y a eu plusieurs grands moments dans ces séries de 2004, mais quand Martin a compté le but en prolongation à Calgary lors du sixième match, je n’ai jamais vu une foule aussi bruyante se taire aussi subitement. La Coupe était dans l’amphithéâtre et la police montée s’apprêtait à remettre le trophée aux Flames. Le but de St-Louis a jeté une douche froide sur les fans à Calgary.

« Il y avait de plus gros noms que lui avec le Lightning, Vincent Lecavalier, Brad Richards, Nikolai Khabibulin, mais en termes de passion et de courage, de ne jamais se fier au regard des autres, défier les probabilités, il n’y avait personne comme lui. Personne ne nous voyait remporter la Coupe Stanley en 2004. L’année précédente, le Sports Illustrated nous prédisait le dernier rang au classement général. Martin était sous-estimé comme notre équipe était sous-estimée. C’était le cœur et l’âme de ce club. »

Sa grande force ? « Il n’y a pas un meilleur autoévaluateur que Martin St-Louis, répond l’ancien DG du Lightning et des Flames. "Torts" et moi, on en parlait sans arrêt. C’est rare. Quand on en trouve un, ça vaut de l’or. La plupart des joueurs ne voient pas leurs faiblesses. Rarement "Torts" avait-il besoin de lui parler pour corriger des failles dans son jeu. »

Le Lightning a choisi la visite de Tortorella avec ses Blue Jackets pour tenir les cérémonies en l’honneur du Québécois. Jay Feaster y sera aussi, évidemment, et il conservera la copie du contrat de Martin St-Louis précieusement.

« J’ai le contrat sous les yeux en ce moment, je le regarde et je n’arrive pas à y croire. Dire qu’on trouvait que 250 000 $ était trop cher payé… »

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