Inspiration Personnalité de l’ année Gestion et entrepreneuriat

Recycler le pas recyclable

Semaine du 8 juillet

Solenne Brouard Gaillot

Solenne Brouard Gaillot, notre personnalité de l’année, catégorie affaires, est une chercheuse de solutions.

Et le problème qu’elle a entrepris de régler est plutôt d’actualité : recycler le pas recyclable.

Son premier cas ? Le plastique no 6, celui des gobelets blancs à café, des panneaux d’isolant pour la maison, des glacières, des barquettes pour la viande des supermarchés, celui dont on a cru si longtemps qu’il fallait juste arrêter d’en acheter et d’en produire parce que son état était inchangeable, indestructible.

Son entreprise, Polystyvert, fondée en 2014, a mis au point une technologie qui permet de remettre le polystyrène en circulation, à qualité égale. « Et moins cher », note la femme d’affaires. « Et il y a encore beaucoup de communication à faire là-dessus parce que c’est difficile à comprendre et à croire, mais pour le polystyrène, le recyclé, c’est comme le neuf », explique-t-elle en entrevue, à peine de retour de voyages aux États-Unis et en Europe pour vendre ses solutions.

Car si le papier ou le verre recyclés ne reprennent pas le chemin parfait de nos cahiers d’école ou des bouteilles de lait ou de vin, le polystyrène, lui, peut revenir aisément à la case départ, pimpant, avec la même viscosité que la matière originale. « Oui, oui, pareil, ça se mesure », assure Mme Brouard Gaillot.

Présidente et fondatrice de sa société, diplômée en gestion, Solenne Brouard Gaillot a lancé Polystyvert et sa technologie avec l’aide du chimiste Roland Côté, de l’ingénieur Jon Caplan et de Marianne Lépinoit, directrice des finances de l’entreprise. Actuellement, elle produit du polystyrène recyclé, matériau qu’elle vend à profit, à un prix moindre que le polystyrène neuf, ou « vierge », comme on dit dans le métier.

On pourrait donc s’attendre à ce que cela devienne son avenir.

Mais le but de la femme d’affaires est ailleurs.

« Notre force, ce n’est pas d’opérer des usines, même si on en fait un peu », dit-elle.

« Pour l’optimisation, il y en a qui font mieux que nous. Notre force, c’est plutôt la créativité. »

— Solenne Brouard Gaillot

L’équipe installée à Anjou veut donc aller plus loin. Oui, vendre sa technologie pour recycler le polystyrène, et il reste encore beaucoup à faire de ce côté. Mais elle pense déjà à la recherche pour développer encore d’autres types de recyclage de plastique. « Il y a beaucoup de place à l’amélioration. »

Certains plastiques, comme celui utilisé pour les sacs d’épicerie à usage unique, sont très peu recyclés ou pas du tout encore. D’autres peuvent l’être, mais avec des technologies aux prix prohibitifs.

En 2018, Polystyvert a ouvert ses portes à de nouveaux grands investisseurs qui y ont injecté 11 millions pour propulser la technologie de recyclage du plastique no 6. Trouver des clients n’est pas tâche facile. Même si le prix du styromousse recyclé est moins élevé que celui du neuf, l’idée du changement paralyse les acheteurs. Dans un monde industriel où la profitabilité et le contrôle des coûts sont serrés, on s’imagine aisément que tout le monde se lance sur un produit égal à prix moindre. Mais non, dit Mme Brouard Gaillot, il faut quand même faire de grands efforts pour vendre le produit. Et encore plus pour vendre la technologie. Différents entrepreneurs potentiels ont été sondés, mais rien n’est conclu.

En attendant, Polystyvert a fait un partenariat avec Total, grand producteur européen de produits issus du pétrole. On attend la suite.

Solenne Brouard Gaillot est née dans l’est de la France, à Metz, dans une région très industrielle. Son grand-père travaillait chez ArcelorMittal, le géant de la sidérurgie. Elle-même a déjà travaillé dans une aciérie en Allemagne. Pour elle, « travailler », ça a longtemps signifié « faire quelque chose dans une usine ». C’est pour terminer des études amorcées à l’École supérieure de commerce de Rennes qu’elle est venue au Québec, à l’Université de Sherbrooke. Elle n’en est plus jamais repartie.

Elle a fondé son entreprise entre deux grossesses, après avoir travaillé notamment chez Bombardier.

Comment voit-elle 2019 ?

Pour la femme d’affaires de 38 ans, la prochaine année sera encore marquée par les questions environnementales. Elle se ravit de la construction à Montréal d’un nouveau centre de tri des matières recyclées, plus performant. « Ça va vraiment aider », dit-elle. « Surtout depuis la fermeture de la Chine. » Le géant asiatique a en effet arrêté d’acheter la matière recyclable d’ici parce que nos produits sont trop « contaminés ». Nos plastiques ne sont pas propres, les ballots mélangent le plastique au papier et au verre… On l’a vu dans des reportages publiés en 2018 dans La Presse : on a encore beaucoup à faire pour profiter réellement de nos déchets.

Mais si les gens, dit-elle, sont souvent désabusés par les progrès en environnement parce que ça ne va pas assez vite, il ne faut pas laisser tomber. « Ça avance quand même. »

Tout ce qui touche les déchets intéresse la femme d’affaires. « Il faut vraiment les percevoir comme une ressource. Et on est juste dans les balbutiements des changements pro-environnement. »

On peut être découragé par l’ampleur de la tâche ou motivé par l’ampleur des occasions. « Il y a beaucoup de marchés à prendre, de créneaux à développer. » Évidemment, ce n’est pas toujours facile. « Il faut s’accrocher. »

Et Mme Brouard-Gaillot tient à rassurer les femmes ingénieures et les femmes d’affaires qui auraient envie de percer ces univers. « Il y a beaucoup d’ouverture », dit-elle.

Et son souhait pour 2019 ? Que sa technologie soit finalement achetée. À pareille date l’an prochain ? « Je me vois arriver en 2020 dans mon usine », dit-elle. Et pensant déjà à son prochain projet pour aider l’environnement technologiquement, efficacement, profitablement.

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