Éditorial : Science fondamentale

La promesse non tenue de Justin Trudeau

Les années Harper ont été difficiles pour la science canadienne. Or, près de deux ans après l’élection de Justin Trudeau, le virage amorcé par les conservateurs vers la recherche appliquée se poursuit, au détriment de la science fondamentale.

Ce n’est pas ce qu’on nous avait promis.

« La recherche fondamentale est tellement importante, pas pour des innovations l’année prochaine, mais pour les innovations qui vont créer la croissance dans 30 ans, dans 50 ans, dans 100 ans […] »

Ces mots ont été prononcés par Justin Trudeau pendant la campagne électorale de 2015. Nous aimerions les lui rappeler.

Aujourd’hui, le retard canadien en recherche par rapport aux autres pays industrialisés est tel qu’il menace notre compétitivité. Par ses mots, M. Trudeau a montré qu’il comprend ce danger. Il est grand temps que « les bottines suivent les babines » et qu’il agisse.

***

Vous avez entendu parler du rapport Naylor ? Cette brique de 316 pages n’est certes pas une lecture de chevet. Elle contient pourtant des constats très durs sur l’état de la recherche au Canada et des recommandations pour redresser la barre. Ce rapport a été commandé par le gouvernement Trudeau et il lui a été remis en avril dernier. Malheureusement, il est passé presque inaperçu.

Le portrait dressé n’est pourtant rien de moins qu’alarmant. Pour l’illustrer, nous nous contenterons de mentionner un chiffre : 1,6 %. Par coïncidence, il correspond aux deux grands problèmes de la recherche canadienne.

D’abord, 1,6 % est la proportion du PIB que le Canada investit en recherche et développement. Ce chiffre est en déclin et est le plus faible des 18 pays ayant servi de comparaison à l’exception de l’Italie. Il est inquiétant de penser que la Chine, dont le PIB par personne est cinq fois plus faible que celui du Canada, investit maintenant une plus grande portion de son PIB en recherche.

Ensuite, 1,6 % est la proportion de chercheurs canadiens qui disent aujourd’hui se consacrer entièrement à la recherche fondamentale, contre 24 % il y a 10 ans.

Cette baisse, dévoilée le mois dernier par la Global Young Academy, est si draconienne qu’elle a attiré l’attention internationale, dont celle du prestigieux magazine Nature.

Ce triste héritage est celui du gouvernement Harper, qui a massivement favorisé la recherche dite « axée sur les priorités » au détriment de la science fondamentale. Il témoigne d’une vision réductrice de la science, qui oublie que la recherche fondamentale nourrit la recherche appliquée.

Justin Trudeau a abondamment dénoncé ce choix. À son arrivée au pouvoir, il a rapidement autorisé les scientifiques à parler aux médias, créé un ministère des Sciences, rétabli le formulaire long du recensement afin que le gouvernement puisse appuyer ses décisions sur des données. Ces gestes symboliques étaient nécessaires et ont envoyé un signal fort.

Mais le travail difficile, qui consiste à réorienter le financement de la recherche pour que le Canada puisse prospérer dans l’économie du savoir, n’a pas été fait. Pire : en creusant des déficits beaucoup plus importants que ceux qui avaient été annoncés, le gouvernement libéral s’est placé dans une situation difficile.

Parce qu’on n’en sort pas. Sans surprise, le rapport Naylor recommande un réinvestissement massif en recherche. Les chiffres font peur : le « plan quadriennal » propose 3,6 milliards en quatre ans. Irréaliste ? Ça dépend du point de vue. Il n’y a pas de chiffre magique quant à la somme qu’un pays doit investir en recherche. C’est la course mondiale qui dicte le rythme, et c’est là-dessus qu’est basé le rapport Naylor. Ceux qui ne suivent pas doivent en accepter les conséquences : des économies moins compétitives et un niveau de vie réduit.

La ministre des Sciences, Kirsty Duncan, n’a pas encore annoncé quelle suite elle entend donner au rapport Naylor. Mais en entrevue à divers médias, elle a semblé minimiser les attentes, sous-entendant que « l’argent pourrait poser problème ». Or, gouverner, c’est faire des choix. Si on nous annonce qu’il ne reste plus rien pour la science après avoir mis des milliards dans les infrastructures, les allocations aux familles et les supergrappes industrielles, les scientifiques et les électeurs s’en souviendront. Il leur restera les mots de Justin Trudeau, selon lesquels « la recherche fondamentale est tellement importante ».

Pourcentage du PIB investi en recherche

Corée du Sud 4,29 %

Israël 4,09 %

Suède 3,31 %

Allemagne 2,83 %

États-Unis 2,73 %

France 2,24 %

Australie 2,11 %

Chine 2,05 %

Royaume-Uni 1,70 %

Canada 1,61 %

Italie 1,31 %

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.