MARKETING MODE ET BEAUTÉ

Les égéries prennent de l’âge

Susan Sarandon, Jane Fonda, Helen Mirren, Jessica Lange, Julianne Moore, Charlotte Rampling, Andie MacDowell. Qu’ont-elles en commun ? Elles ont plus de 50 ans et elles sont les égéries de grandes marques de mode ou de beauté. Stratégie marketing ou changement de mentalité ? 

Pour la première fois, une femme de 56 ans, Nicola Griffin, fait partie du numéro spécial de maillots de bain du célèbre magazine Sports Illustrated. Du jamais vu. Helen Mirren, 70 ans, est une des égéries de L’Oréal, tout comme Jane Fonda, 78 ans et Susan Sarandon, qui vient de se joindre à la marque.

Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. Évidemment, la population vieillit et le pouvoir d’achat des « seniors » est très important. Les baby-boomers sont très actifs et s’intéressent aux produits qui peuvent les rendre plus beaux et plus jeunes.

Mais au-delà du marché, les rôles sociaux ont changé et les femmes prennent plus soin d’elles qu’autrefois. « L’espérance de vie est plus grande et les rôles sociaux des femmes ont changé par rapport à nos grands-mères ou arrière-grands-mères, explique Mariette Julien, sociologue de la mode et professeure à l’École supérieure de mode de l’UQAM. Aujourd’hui, avec la déliaison amoureuse et l’éclatement des couples, les femmes peuvent refaire leur vie à tout âge, à 40, 50, 60 ou 70 ans. »

Mme Julien croit que les femmes sont plus dans le rapport de séduction qu’autrefois et surtout à tout âge.

« Il y a toujours eu un impératif de séduction, mais ça transparaît beaucoup dans les médias. Il faut projeter une image comestible de soi, on en est là, et ce, jusqu’à la mort. »

— Mariette Julien, sociologue de la mode et professeure à l’École supérieure de mode de l’UQAM

Dans le milieu de la mode et de la beauté, on veut avant tout attirer l’attention. D’où le choix de personnalités fortes et d’actrices qui sont de véritables icônes.

Pour Florence Girod, vice-présidente à la planification stratégique de l’agence de publicité Cossette, il faut avoir un visage ou une silhouette qui se démarque. « Ces actrices sont des références, elles viennent avec une histoire, une personnalité inspirante qui est plus authentique. Les femmes veulent rêver, mais il faut en même temps qu’elles puissent se reconnaître. À une époque, on acceptait de voir des choses qui étaient inaccessibles, mais aujourd’hui, la vérité est indispensable, il faut être plus crédible. On fera plus confiance à une marque qui représente une femme qui nous ressemble », pense-t-elle.

On choisit son égérie en fonction du groupe qu’on veut atteindre. Ainsi, pour cibler une clientèle plus âgée, la publicité se retrouvera dans des médias plus traditionnels comme les magazines et la télévision.

« Ce sont des marchés où la communication s’est sophistiquée. On ne peut pas, avec une seule image, plaire à tout le monde ! On s’ajuste maintenant aux différents groupes de femmes selon leur âge et leur culture. D’ailleurs, les égéries seront différentes si on est en Asie, en Amérique du Nord ou en Europe », précise Florence Girod.

Il y a peut-être dans le choix de ces égéries plus âgées un calcul, celui de montrer qu’on respecte les femmes de tous âges. « Il y a quelque chose de politiquement correct dans le fait d’entrer dans cette nouvelle vague de féminisme, on ne veut pas être soupçonné de ne plaire qu’aux jeunes », soutient Florence Girod.

Marie-Josée Trempe a fondé il y a 25 ans l’agence de mannequins Specs qui a toujours mis en valeur la diversité. Elle pense d’emblée qu’il était temps qu’on s’adresse aux femmes de façon différente.

« Les consommatrices veulent qu’on s’adresse à leur intelligence. Les marques ont réalisé que de vendre des produits pour des femmes de mon âge [elle a 55 ans] avec une fille de 20 ans, on ne se sentait pas du tout concernées. Encore moins quand c’est un produit anti-âge. »

Elle estime que la demande de mannequins plus âgées augmente, elle le voit dans son agence qui compte quelques mannequins de plus de 40 ans et une femme âgée de 53 ans. Elle signale d’ailleurs que les « super modèles » des années 90 travaillent toujours : Cindy Crawford et Linda Evangelista ont fêté leurs 50 ans et Christy Turlington a maintenant 47 ans.

Elle ajoute qu’il y a eu des changements ces dernières années dans l’industrie du mannequinat, avec à New York une loi qui régit les conditions de travail des mannequins de moins de 18 ans et l’encadrement très strict des mineures.

Selon la sociologue de la mode Mariette Julien, notre société impose des idéaux corporels. « La femme qui reste belle, jeune et sexy malgré son âge devient un modèle, car il y a une gratification à rester jeune. Les femmes doivent continuer à rester belles et jeunes si elles veulent être acceptées. On les évalue encore beaucoup à leur beauté, même une femme avec un doctorat sera évaluée par son apparence, on est loin de la libération de la femme tant revendiquée ! »

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