Chronique

Des nouvelles de Homa Hoodfar

Presque trois mois. Plus précisément, 87 jours. C’est le temps que l’Irano-Canadienne Homa Hoodfar, anthropologue de l’Université Concordia, a déjà passé en détention à Téhéran.

Après avoir dénoncé publiquement son arrestation, au début de juin, sa famille avait choisi de garder le silence dans l’espoir que cela favoriserait sa libération.

Mais des nouvelles récentes sur l’état de santé de Homa Hoodfar ont conduit ses proches à tirer la sonnette d’alarme. Selon ces informations, la chercheuse serait affaiblie au point d’avoir de la peine à parler et à marcher. Elle aurait même dû être hospitalisée pendant quelques jours.

Confinée dans une cellule d’isolement, cette femme de 65 ans, souffrant d’une maladie neurologique dégénérative – la myasthénie grave –, est au bout du rouleau, craint sa famille. Elle n’a pratiquement pas accès à ses proches, encore moins à son avocat, ou à un médecin. Sa famille n’est même pas certaine que les autorités aient remis à Homa Hoodfar les médicaments dont elle a absolument besoin. Récemment, la justice iranienne a manœuvré pour retirer unilatéralement son avocat de son dossier.

« Nous avons essayé de respecter le processus judiciaire iranien, mais eux, ils ne respectent pas leurs propres lois », déplore la nièce de la chercheuse, Amanda Ghahremani, établie elle aussi à Montréal.

Homa Hoodfar a été arrêtée une première fois en mars, puis libérée sous caution et soumise de manière intermittente à d’interminables interrogatoires. Finalement, le 6 juin, elle est tombée dans le trou noir de la sinistre prison d’Evin.

« Nous avons terriblement peur, nous nous souvenons de ce qui est arrivé à Zahra Kazemi. »

— Amanda Ghahremani, nièce de Homa Hoodfar, évoquant la photographe irano-canadienne qui est morte, dans cette même prison, il y a 13 ans.

Que reproche-t-on au juste à cette experte dont les recherches portent sur les femmes dans les sociétés islamiques ? Selon sa nièce, elle est accusée de se livrer à de la « propagande contre l’État iranien » et de « collaborer avec des États hostiles à Téhéran ».

Des accusations qui n’ont rien à voir avec le travail de cette spécialiste réputée pour la finesse de ses travaux. « Porter le voile est une expérience pleine de contradictions et prêtant à des significations diverses ; bien que le voile ait clairement été un mécanisme servant le patriarcat […], les femmes l’ont aussi utilisé pour se libérer des contraintes du patriarcat », écrit-elle dans un de ses articles.

Bref, ce n’est pas le genre de personne à monter au créneau pour pourfendre le hijab ou le burkini…

« Elle a été l’ambassadrice des femmes iraniennes sans défier le cadre islamique », souligne sa nièce Amanda Ghahremani.

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Mais ce que la justice iranienne reproche à Mme Hoodfar n’a pas tant d’importance, en réalité. Il s’agit d’accusations génériques qui sont servies à de nombreux chercheurs ou journalistes arrêtés à Téhéran au cours des dernières années. Comme le journaliste du Washington Post Jason Rezaian, arrêté en juillet 2014 et détenu pendant 18 mois, sous la même accusation de « propagande anti-État ». Il a fini par être libéré en janvier dernier.

En d’autres mots, Homa Hoodfar n’est pas la seule victime de la paranoïa judiciaire iranienne. Et son arrestation n’est qu’un des nombreux symboles du durcissement d’un establishment qui n’a pas encore digéré l’élection du candidat modéré Hassan Rohani à la présidence du pays, il y a trois ans.

Ces arrestations en série, « c’est le signe du mécontentement du régime devant le résultat de l’élection présidentielle », dit Houchang Hassan-Yari, du Collège militaire de Kingston.

Il faut savoir qu’en Iran, le véritable pouvoir appartient au guide suprême, Ali Khamenei, à ses gardes révolutionnaires et à leurs milices, les terribles bassidjis.

Non seulement ce noyau dur n’a-t-il pas accepté les résultats de la présidentielle, mais il rejette l’accord nucléaire historique signé sous le patronage de Hassan Rohani.

Depuis, c’est la guerre entre l’aile dure et l’aile modérée du régime iranien. Il arrive, par exemple, que le ministre de la Culture autorise certains concerts qui sont ensuite annulés par le ministère de la Justice ou les bassidjis, signale Houchang Hassan-Yari.

Selon lui, par ces gestes, le régime veut montrer la faiblesse du président Rohani. Un message destiné autant à l’interne qu’à l’externe…

Les Iraniens détenant une double citoyenneté offrent une véritable manne à la branche dure du régime : quoi de plus facile que de leur coller une accusation d’espionnage ou de collaboration avec des puissances ennemies ?

Encore hier, Téhéran annonçait l’arrestation d’un Irano-Américain soupçonné de poser une menace à la sécurité de l’État et de collaborer avec « des États ennemis et des éléments contre-révolutionnaires. »

Autrement dit : Homa Hoodfar n’est pas la seule victime d’un régime prêt à tout pour affirmer sa toute-puissance. Mais c’est une maigre consolation pour ses proches qui meurent d’inquiétude pour une femme fragile, dont le seul crime aura été d’avoir voulu revoir son pays natal.

Pour en savoir plus ou pour signer une pétition appelant à la libération de Homa Hoodfar : 

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