Chronique 

Pourquoi Vaillancourt purgera seulement un an de prison

Le 1er février 2016 a probablement été une date déterminante dans les négociations entre la Couronne et le camp Vaillancourt pour sa reconnaissance de culpabilité.

Ce jour-là, la Cour d’appel a rendu une décision majeure dans une autre affaire, ce qui a permis à Gilles Vaillancourt de voir son éventuel temps de prison réduit de moitié. Selon toute vraisemblance, ce jugement a permis un déblocage dans les négociations, qui duraient depuis le printemps 2015.

Essentiellement, la Cour d’appel a statué en février 2016 que certains inculpés pouvaient bénéficier de l’ancienne disposition de la loi, celle qui permet une libération au sixième de leur peine, plutôt qu’au tiers. Une sentence de six ans de prison se traduit donc par un temps de détention de seulement un an pour le monarque de Laval, plutôt que deux ans.

Ah, le chanceux ! direz-vous. Seulement un an pour 15 ans de corruption ! Et pourquoi donc ?

Rappelez-vous le contexte. Le 28 mars 2011, une loi du Parti conservateur a fait passer du sixième au tiers le temps de détention minimal, essentiellement. Depuis cette date, cependant, les tribunaux de partout au Canada débattent pour trancher un élément central : les dispositions de 2011 s’appliquent-elles selon le moment de la condamnation ou selon la période pendant laquelle les méfaits ont été commis ?

La nuance est importante. Dans le cas de Gilles Vaillancourt, la condamnation a lieu en 2016, mais les méfaits se sont produits entre janvier 1996 et septembre 2010, donc avant le changement des conservateurs.

En 2014, donc, un inculpé du nom de Gilles Parent tente de faire reconnaître son droit à une libération rapide, puisque ses crimes ont été commis avant le 28 mars 2011. Essentiellement, il invoque la Charte des droits : « Tout inculpé a le droit de bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine est modifiée entre le moment de la perpétration de l’infraction et celui de la sentence. »

À première vue, l’inculpé Parent peut donc automatiquement bénéficier d’une libération au sixième de sa sentence originale, soit la peine la moins sévère. La Cour supérieure rejette toutefois cet argumentaire, jugeant que le terme « peine » s’applique plutôt à la sentence (les six ans de prison de Vaillancourt, par exemple), et non à la possibilité d’une libération expéditive, qu’il s’agisse du sixième ou du tiers.

Dit autrement, ce n’est pas la « peine » qui a été modifiée en mars 2011, selon la Cour supérieure, mais la procédure qui permet une libération expéditive.

Gilles Parent porte sa cause en appel, en 2014. Et le 1er février 2016, la Cour d’appel lui donne entièrement raison en vertu de la Charte, ce qui lui permet d’être libéré. Selon le jugement, « le délinquant est puni plus sévèrement qu’il ne l’aurait été s’il avait été condamné de façon contemporaine à son crime ».

La Cour d’appel du Québec n’est pas la seule à avoir tiré cette conclusion. Depuis 2014, une cour de la Colombie-Britannique et quatre de l’Ontario ont penché dans le même sens. Et le 14 janvier 2016, deux semaines avant le jugement du Québec, la Cour suprême a fermé la porte à toute contestation de cette interprétation.

Bref, les méfaits commis avant le 28 mars 2011 sont constitutionnellement admissibles à une réduction au sixième de la peine, que ça nous plaise ou non.

Gangstérisme

L’histoire ne s’arrête pas là. Pour permettre à Gilles Vaillancourt de bénéficier du jugement Parent, son avocate devait aussi faire tomber le chef d’accusation de gangstérisme.

En effet, ce ne sont pas tous les méfaits qui sont admissibles à une telle réduction. « Les crimes à connotation violente, comme les meurtres, les voies de fait ou le gangstérisme, n’avaient pas droit à la procédure expéditive permettant la réduction au sixième de la peine », explique l’avocate en droit carcéral Nadia Golmier (MGolmier confirme mon interprétation de l’arrêt Parent, mais ne connaît pas le dossier Vaillancourt).

Or justement, c’est ce qui s’est produit : la Couronne a laissé tomber les accusations de gangstérisme à l’endroit de Vaillancourt, lui permettant d’avoir accès au temps réduit.

En parallèle du jugement Parent, la Couronne, la défense et la Ville de Laval ont entamé des négociations, en avril 2016, pour déterminer le montant des amendes que l’ex-maire devait payer. Tout a été mis sur la table, selon l’actuel maire de Laval, Marc Demers. Les pourparlers ont été conclus au début de cette semaine.

Joint au téléphone, le procureur de la poursuite, Richard Rougeau, a été très peu loquace au sujet de l’impact de l’arrêt Parent sur les négociations. « Je suis juriste, je connais la jurisprudence, mais je n’ai pas à répondre à cela », a-t-il déclaré. L’avocate de Gilles Vaillancourt, Nadia Touma, n’a pas rappelé.

Bref, même si la peine proposée par les parties est de six ans de prison, l’ex-maire pourra être libre dans un an et fêter tranquillement Noël 2017 avec sa famille. À moins que le juge James Brunton, qui doit entériner l’entente, révise la peine à la hausse, ce qui est peu probable. Eh bien !

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