NOUVEAU VISAGE MEHDI BOUSAIDAN

L'enfant prodige

Jusqu’au 5 janvier, l’équipe des Arts vous présente 10 nouveaux venus qui ont brillé en 2014 et qui devraient briller encore davantage en 2015.

Brillant. C’est le premier mot qui nous vient à l’esprit après une heure de discussion avec Mehdi Bousaidan. Qu’il s’agisse de sa vision du métier, de l’éducation, du Québec ou du monde, ce jeune homme a manifestement pris goût très tôt à la réflexion. À 23 ans, il a une maturité que beaucoup de gens de son âge – et de son milieu artistique – n’ont pas.

Nous trouvions déjà que son matériel avait ce petit quelque chose qui manque dans le paysage actuel de l’humour : un peu de culture. Mehdi Bousaidan n’hésite pas à puiser dans les ressources de l’art, de l’histoire ou de la sociologie pour créer des numéros originaux, comme celui d’un prof manchot forcé de résumer l’histoire de l’art au complet à des élèves incultes ou celui d’un chef d’orchestre allemand qui tente de masquer son passé nazi.

Il faut dire que la première question qu’il s’est posée en sortant de l’École nationale de l’humour a été : « Qu’est-ce que je peux dire ? » Il se trouvait trop jeune pour raconter son « vécu ».

« Beaucoup d’humoristes veulent seulement faire rire, et ils vont remplir des salles avec un humour qui dit essentiellement : “Hé ! J’ai fait un flat en allant au Saguenay.” Pour moi, le rire n’est pas le message ; je veux passer un message en faisant rire. » — Mehdi Bousaidan

ESPRIT OUVERT

Mehdi Bousaidan a ce sérieux plutôt répandu chez les enfants d’immigrants, qui ont souvent plus de pression sur les épaules. Né en Algérie, il est le cadet de sa famille – un accident, dit-il – et est arrivé au Québec à 5 ans, où il a grandi à Laval.

« Je regardais mes amis à l’école et je me disais : “Oups, je ne peux pas me permettre de faire comme eux.” Moi, il faut que ça marche. Mes parents ont sacrifié énormément de choses pour venir au Québec ; je ne peux pas juste me la couler douce. Il faut qu’ils puissent se dire qu’ils ont fait le bon choix en m’amenant ici. »

Mais c’est un mélange identitaire qu’il trouve enrichissant, d’autant qu’il a la confiance de ses parents dans son choix de vie. « On est bleus, on amène nos enfants dans un carré rouge, c’est normal qu’ils deviennent mauves ! Tu dois accepter de prendre la culture dans laquelle tu baignes et de l’intégrer, plutôt que de la refuser et de t’isoler dans ta culture sous prétexte que tu la protèges. »

DE LA THÉOLOGIE À L’HUMOUR

Cette ouverture lui permet de bien comprendre la nature réelle de l’humour au Québec. « L’Algérie, c’est un pays qui est très drôle, car les pays colonisés ont souvent plus de facilité à utiliser l’humour à cause de leur historique de perdants. On utilise l’humour pour sortir des problèmes. Bien sûr que je fais un parallèle avec le Québec ! Je pense qu’ici, l’humour est maladif, beaucoup plus qu’en Algérie même, et cela tient à l’histoire. »

« Les gens ici veulent tout le temps de l’humour. C’est pour ça que ça marche autant. L’humour est pris très au sérieux, sa place est très importante. C’est plus qu’un divertissement, c’est un moyen de communication. » — Mehdi Bousaidan

Mehdi Bousaidan a étudié en communications et cinéma au cégep. Il voulait devenir journaliste et admirait Pierre Desproges, un modèle pour lui. « Mais les profs nous décourageaient d’aller en journalisme et en cinéma : ils nous disaient qu’il n’y avait pas de jobs, qu’il y avait trop de convergence et de radios-poubelles et que, de toute façon, tout ce qu’on voyait partout, c’était des humoristes. Alors humoriste, c’est le métier qui pouvait englober tout ce que j’aime. »

Le déclic s’est produit en découvrant les matchs d’improvisation, cette invention géniale de Robert Gravel qui continue d’être le détonateur de beaucoup de carrières d’humoristes ou d’acteurs.

À l’université, Mehdi Bousaidan s’était d’abord inscrit en théologie : il était fasciné par l’histoire des religions, car, à l’école secondaire, c’est un cours d’histoire des religions qui l’a rendu athée, dit-il.

« J’étais musulman, et j’ai découvert que ma religion n’était pas meilleure que les autres, que la religion n’était pas le plus important. Ça a complètement changé mon mode de vie, mais c’est un sujet qui me passionne. » — Mehdi Bousaidan

À la dernière minute, il a plutôt choisi de s’inscrire aux auditions de l’École nationale de l’humour et a ainsi tracé sa trajectoire. Il a fait ses classes dans les bars, a animé des soirées à l’Abreuvoir, s’est rendu jusqu’à la finale d’En route vers mon premier gala, a écrit pour la série lol : -), jusqu’à ce premier gros contrat : la nouvelle émission jeunesse qui porte son nom, Med, présentée dès janvier à VRAK 2.

Il y incarnera un adolescent, né d’une mère algérienne et d’un père québécois, entouré de ses amis. Une proposition rare à la télé made in Québec. Son seul rôle à la télé jusqu’à présent avait été celui d’un grand frère musulman misogyne et homophobe tabassant un jeune gai dans 30 vies.

Le plus beau, chez Mehdi Bousaidan, est que son ambition n’est pas que personnelle. « Nous avons tout au Québec pour être un peuple brillant », proclame-t-il avec conviction, mais il se montre très critique envers le système d’éducation, qui n’inculque pas une base de culture générale à tous, ou nos quiz télévisés, qui nous proposent d’ouvrir des valises plutôt que d’ouvrir nos esprits. « Il faut choisir ses combats. »

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