INSTITUT ÉCONOMIQUE DE MONTRÉAL

« L’institut en mission »

Quand le gouvernement péquiste a voulu instaurer une politique de prix unique du livre, en 2013, l’Institut économique de Montréal (IEDM) est monté au créneau pour dénoncer ce projet « anachronique, néfaste et obscurantiste ».

Réclamée à grands cris par l’ensemble du milieu du livre québécois, la politique visait à protéger les libraires de la concurrence indue des magasins à grande surface comme Costco et Walmart.

En plein débat, l’IEDM a non seulement produit une note économique concluant que le prix unique ferait reculer les ventes de livres, mais aussi commandé un sondage suggérant que les Québécois y étaient défavorables, en plus de déposer un mémoire en commission parlementaire afin de condamner le projet.

« Ils ont pris beaucoup de place dans le dossier. Ils étaient les plus visibles, les plus actifs et, pourtant, ils étaient très loin du milieu du livre. »

— Benoît Prieur, directeur général de l’Association des distributeurs exclusifs de livres en langue française

« Ils sont intervenus à répétition et véhiculaient des faussetés. On est sortis un peu désillusionnés de tout ce processus », a ajouté M. Prieur.

Dans ce débat, l’IEDM a manifestement tenté d’influencer le gouvernement pour qu’il renonce à instaurer le prix unique du livre. S’est-il livré, du même coup, à une activité politique ?

La question est pertinente, puisque l’IEDM est un organisme de bienfaisance enregistré auprès de l’Agence du revenu du Canada. Ce statut lui permet de recevoir des dons et de produire des reçus aux fins de l’impôt – à condition de ne mener qu’un nombre restreint d’activités politiques.

Le président-directeur général de l’IEDM, Michel Kelly-Gagnon, soutient que son institut s’est limité à expliquer « les conséquences d’un cartel » aux parlementaires, qui l’ont eux-mêmes invité à faire part des résultats de ses recherches. « Ceci ne constitue aucunement du lobbying au sens de la loi mais fait partie de notre mission d’éducation économique. »

UN « INSTITUT D’OPINION »

Année après année, l’IEDM déclare à Revenu Canada ne faire aucune activité politique, disant limiter son travail à l’avancement de l’éducation et de la recherche.

Pourtant, plusieurs notes économiques, communiqués et textes d’opinion produits au fil des ans par l’IEDM plaident pour ou contre l’adoption de lois ou de politiques publiques.

Claude Montmarquette, président-directeur général du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), juge « absolument étonnant » le statut de l’IEDM.

« Ce n’est pas un institut de recherche, c’est un institut d’opinion. »

— Claude Montmarquette

L’IEDM ne cache pas davantage son combat que l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), souligne M. Montmarquette. « L’un soutient le rôle du marché, et l’autre, une intervention étatique. Les deux sont en mission. »

La différence, c’est que l’IRIS n’est pas un organisme de bienfaisance. Jusqu’ici, cet organisme soutenu par des syndicats n’a pas cherché à obtenir ce statut. « On craignait de ne pas l’obtenir sous Stephen Harper. Avec le changement de gouvernement, on y réfléchit », admet Gabrielle Brais Harvey, responsable des communications de l’IRIS.

Rappelons qu’en 2012, le gouvernement Harper avait demandé à Revenu Canada d’enquêter sur les activités politiques de 52 organismes de bienfaisance. L’exercice avait été largement perçu comme une tentative de museler des organismes critiques envers les politiques conservatrices.

En pleine tourmente, un rapport de l’Institut Broadbent avait relevé que « des organismes de bienfaisance de droite rapportent qu’ils ne font aucune activité politique alors qu’ils effectuent pourtant du travail qui semble correspondre à la définition de l’Agence du revenu du Canada ». C’était le cas de l’IEDM, avait rapporté le groupe de réflexion progressiste d’Ottawa.

UNE « MISSION D’ÉDUCATION »

Selon Revenu Canada, « une activité politique fait valoir explicitement au public qu’une loi, une politique ou une décision d’un palier de gouvernement au Canada ou à l’étranger devrait être maintenue, contestée ou modifiée ».

M. Kelly-Gagnon l’admet : « C’est évidemment ce que nous faisons implicitement ou explicitement dans une grande partie de nos publications et interventions publiques. » Mais il ajoute qu’on ne doit « pas s’arrêter à ce seul critère pour prétendre que l’IEDM n’est pas assez neutre pour faire des activités de bienfaisance ».

« En effet, dit-il, dans le cas d’un organisme de bienfaisance comme le nôtre qui vise à faire de l’éducation économique, il est parfaitement possible de prendre des positions sur des projets de loi ou décisions des gouvernements, puisque cela fait partie de notre mission d’éducation dans la mesure où nous le faisons en tenant compte de certains critères d’objectivité. »

ET LES AUTRES ?

L’IEDM n’est pas le seul groupe de réflexion considéré comme un organisme de bienfaisance par l’Agence du revenu du Canada. Les Instituts Fraser, C.D. Howe et MacDonald-Laurier ont aussi droit à ce statut, tout comme des organismes de gauche, comme le Centre canadien de politiques alternatives. Tous déclarent travailler à l’avancement de l’éducation. Pour sa part, alors qu'il était encore chef du Parti québécois, Pierre Karl Péladeau, a déclaré en janvier qu’il « ose espérer » que son futur institut sur la souveraineté obtiendra le statut d’organisme de bienfaisance, d’autant plus que l’Idée fédérale, un groupe de réflexion québécois voué à la défense du fédéralisme, y a droit.

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