INSTITUT ÉCONOMIQUE DE MONTRÉAL

Groupes de réflexion, transparence et indépendance

Quand un syndicat québécois a voulu montrer que l’économie se portait mieux dans les pays où la présence syndicale est forte, il a tout naturellement fait appel à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) pour mener l’enquête. Mais le think tank progressiste n’a pas réussi à confirmer l’hypothèse de son client. Et l’étude n’a jamais été publiée.

À gauche, il semble que la transparence se paie au prix d’une certaine indépendance.

L’IRIS publie le nom des organismes qui financent ses recherches, mais ces derniers ont droit de regard sur les études commandées, et peuvent aller – dans de rares cas – jusqu’à en bloquer la publication s’ils sont insatisfaits des résultats.

Contrairement à l’Institut économique de Montréal (IEDM), l’IRIS a fourni sur demande une liste de ses principaux donateurs à La Presse. Il s’agit de syndicats, de groupes communautaires et d’associations étudiantes. Le tiers de son budget de 507 000 $ provient de contrats de recherche ; lorsque c’est le cas, l’IRIS publie le nom des organisations qui ont financé les études.

Au-delà de cette transparence, toutefois, l’IRIS ne s’est pas doté de la « muraille de Chine » que l’IEDM dit avoir construite pour éviter de subir l’influence de ses donateurs. Ainsi, l’IRIS soumet ses études à l’avance à ses clients afin d’obtenir leurs commentaires et, au besoin, procéder à des modifications avant de les publier.

« Recevoir les commentaires du client ne nous oblige en rien à les intégrer, et nous restons entièrement responsables des conclusions. »

— Simon Tremblay-Pepin, chercheur à l’IRIS

À au moins quatre reprises depuis sa fondation, en 2000, l’IRIS a renoncé à publier une étude commandée par un client. « En général, on constate ensemble qu’on n’a pas quelque chose de très bon entre les mains et qu’on ne veut pas vraiment continuer, explique M. Tremblay-Pepin. On veut garder de bonnes relations avec nos clients, bien entendu, alors on essaie de terminer l’étude d’un commun accord. »

Dans le cas de l’étude sur l’effet de la présence syndicale sur l’économie, par exemple, les chercheurs de l’IRIS ont rapidement conclu qu’il s’agissait d’un indicateur trop spécifique, et que de nombreux autres facteurs jouaient sur la croissance d’un pays pour pouvoir faire une corrélation directe entre les deux phénomènes. Ils ont prévenu le syndicat qui avait commandé la recherche. Ce dernier a convenu qu’il valait mieux y mettre un terme.

Ce cas de figure ne risque pas de se produire à l’IEDM, affirme son président-directeur général, Michel Kelly-Gagnon. Les entreprises qui subventionnent les études n’ont accès aux résultats que 24 heures avant la publication, lorsqu’il n’est plus possible d’y apporter le moindre changement, assure-t-il.

Au fil des ans, l’institut a même perdu le soutien financier de cinq entreprises froissées par ses opinions ou par les résultats de ses recherches.

« L’IEDM est une organisation intègre et férocement indépendante. Chaque fois que le choix s’est posé entre du financement et notre liberté intellectuelle, nous avons choisi la liberté intellectuelle. »

— Michel Kelly-Gagnon

RARE TRANSPARENCE

L’IEDM justifie son refus de dévoiler l’identité de ses donateurs par le fait que cela permettrait à des « organismes semblables à l’IEDM de solliciter directement ses donateurs, ce qui n’est pas souhaitable ».

Aux États-Unis, de plus en plus de groupes de réflexion divulguent leurs listes de donateurs. C’est le cas de la Brookings Institution, considérée comme le meilleur think tank américain par le magazine Foreign Policy, mais aussi de l’Heritage Foundation et du Cato Institute, qui font tous deux la promotion du libre marché.

Au Canada, toutefois, les concurrents directs de l’IEDM – l’Institut Fraser, l’Atlantic Institute for Market Studies et l’Institut Macdonald Laurier – sont tout aussi discrets à ce chapitre, fait valoir M. Kelly-Gagnon.

Ailleurs, également, la transparence demeure l’exception. Selon une étude de l’organisme européen Transparify, publiée en 2015, plus des deux tiers des groupes de réflexion dans le monde ne divulguent pas d’où provient leur argent. Hans Gutbrod, directeur exécutif de Transparify, a toutefois prévenu que « les think tanks qui acceptent du financement derrière des portes closes minent la réputation du secteur en entier ».

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