Élections provinciales Opinion

Lettre au premier ministre désigné

Mes plus sincères félicitations. Bien peu d’experts vous prédisaient ce succès il y a quelques années. Bâtir un parti nécessite des efforts herculéens. Et moins de sept ans après la création de votre parti, vous occuperez bientôt le poste de premier ministre. Un peu comme si les Golden Seals de la Californie avaient gagné la Coupe Stanley quelques années après la grande expansion de la ligue en 1967.

Les attentes des Québécois à votre égard sont grandes, pour ne pas dire démesurées. Elles se démarquent nettement de celles envers les récents gouvernements qui vous ont précédé. Vous me permettrez quelques observations pour la suite des choses.

Je vous sais particulièrement intéressé par tout ce qui touche l’économie, la productivité et les finances publiques. Mais sachez que ces sujets ont eu peu d’influence sur le mandat qui vous a été confié.

La grogne des Québécois se concentre surtout autour de la santé et de l’éducation. Leur tolérance pour l’incurie est inexistante. Ils s’attendront à voir vos solutions mises à exécution rapidement.

Vous désignerez des gens compétents pour ces deux ministères, nul doute. Mais en tant que primus inter pares, je vous suggère de vous tenir proche de ces dossiers.

Je vous ai entendu dire que vous n’alliez pas vous lancer dans une campagne tous azimuts pour remplacer les administrateurs des sociétés d’État nommés par le gouvernement libéral. Je m’en réjouis. Vous devriez d’abord vous enquérir des compétences de ces personnes. J’en connais plusieurs qui n’ont probablement pas voté pour la CAQ, mais qui rendent de fiers services. Et ces services, dois-je vous le rappeler, sont souvent rémunérés selon des barèmes que même Manon Massé trouverait modestes.

À peu près personne parmi votre députation n’a occupé un poste de ministre. Plusieurs me semblent bons communicateurs. Mais il est beaucoup plus facile de communiquer en offensive (dans l’opposition) qu’en défensive (au gouvernement). Et les médias vous auront à l’œil, n’en doutez pas.

Certains ministres trébucheront – on trébuche toujours. Je vous conseillerais de bien les protéger.

J’ai travaillé à Ottawa dans un climat où des membres du bureau du premier ministre terrorisaient certains ministres. À telle enseigne que leur performance s’est détériorée graduellement. Vous gérez des humains. Personne n’est parfait – traitez vos collègues (et assurez-vous que votre personnel les traite) avec dignité et respect.

Vous avez 28 femmes parmi vos élus. Parmi celles-ci, plusieurs jeunes. Pourquoi ne pas diriger les efforts d’une d’elles vers les liens avec l’électorat de 18 à 30 ans ? Je ne vous apprendrai rien en comparant votre public cible et celui de Québec solidaire. Les images de la soirée électorale témoignaient éloquemment des distinctions démographiques. Les jeunes vous reprochent surtout votre manque d’ambition sur l’environnement (voir plus bas). Malgré son souhait d’en avoir l’exclusivité, le « monde ordinaire » n’appartient pas à Mme Massé. Mais si vous ne trouvez pas des moyens de bâtir ces ponts, la tente de Mme Massé risque de s’agrandir.

Vous avez souvent accusé Philippe Couillard de donner des leçons. Lundi, vous aviez l’air un peu surpris du résultat – on l’observait dans la joie qui s’est emparée de vous lors de l’annonce de votre victoire. Comme si l’ampleur de l’appui de vos pairs vous étonnait. 

Rappelez-vous en durant votre mandat, et épargnez-nous l’arrogance et la suffisance qui accompagnent souvent des gouvernements majoritaires.

Ce conseil vous sera utile pour le prochain rendez-vous électoral, en 2022.

Surprenez un Québec un peu sceptique sur vos ambitions en environnement et nommez une étoile à ce ministère. Vous aurez noté que tous les experts spéculant sur votre cabinet ne s’intéressent à peu près pas à l’identité du titulaire en environnement. Les préoccupations des Québécois dans ce domaine ne sont pas exclusives au groupe d’âge associé à Québec solidaire ni aux seules personnes habitant les grandes villes. Vous me paraissez plutôt habile dans le rôle de l’homme-orchestre. Je vous devine capable de traiter de front les défis en santé et en éducation et ceux touchant l’environnement.

Vous croyez peut-être pouvoir bénéficier de quelques mois de répit pendant que les libéraux et les péquistes partiront à la recherche de nouveaux timoniers. Comme je vous l’écrivais, les attentes envers votre gouvernement sont immenses. Si vous n’agissez pas vite, ce n’est pas tant les partis de l’opposition que je craindrais comme la déception des électeurs.

Bonne chance !

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