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Maladie d'amour

« Docteur, je souffre. Je souffre d’une dépression majeure, je le crains. »

Le médecin a ouvert le grand livre, le DSM-V, la bible de la psychiatrie.

« Vous avez de fait tous les symptômes d’une dépression majeure, mais tel n’est pas mon diagnostic. Vous souffrez plutôt, Madame, d’une peine d’amour. »

La jeune femme est repartie avec son malheur sous le bras alors qu’elle espérait ressortir du cabinet avec une ordonnance de médicament pour endormir son mal.

Cela faisait pourtant trois semaines qu’elle pleurait.

Peut-on pleurer cinq, six, sept fois par jour pendant des semaines pour un amour qui n’aura été qu’intermittent et qui n’aura pas duré un an ? Rendu là, n’a-t-on pas affaire à une dépression ?

« Je suis une épave, je suis un saule inconsolable, dit la jeune femme. J’espère encore un texto, j’attends. Je suis absolument pathétique. »

« J’ai lu quelque part que de se sevrer de quelqu’un, ça peut être aussi difficile que de se sevrer de la cocaïne. C’est vrai, ça ? 

« La Saint-Valentin, c’est une journée particulièrement difficile. Quand ça va, ça va, mais quand ça ne va pas… »

— La Dre Lila Amirali, chef de département de pédopsychiatrie à l’Hôpital de Montréal pour enfants

Si la Saint-Valentin charrie un lot particulier d’émotions, tout au long de l’année, « la peine d’amour est un déclencheur fréquent chez les quelque 1000 jeunes qui se présentent à nos urgences psychiatriques », fait remarquer la Dre Amirali.

Attention, cependant : peu importe qu’elle survienne à l’adolescence ou à l’âge adulte, la peine d’amour n’est pas en tant que telle « la cause de dépression ou d’un autre problème psychiatrique », fait-elle remarquer.

Quand y a-t-il réelle pathologie ? Il y a un problème sous-jacent à la peine d’amour « quand la personne n’est pas que déprimée, mais quand son sommeil est aussi perturbé, qu’elle manque d’énergie et d’appétit, que plus rien ne l’intéresse et qu’elle a une mauvaise estime d’elle-même », note la Dre Amirali.

La peine d’amour, c’est un deuil, rappelle-t-elle. Il est donc normal qu’on mette un certain temps à s’en remettre.

« Quand quelqu’un a perdu un proche, on ne va pas, au bout de deux semaines, soupçonner aussitôt qu’elle fait une dépression. D’ailleurs, plusieurs religions ont des rites qui tiennent compte de cette période qui s’écoule avant que la personne parvienne à reprendre pied. Il en va ainsi aussi de la peine d’amour. »

« Quand il y a situation de crise, poursuit-elle, dépendamment de son intensité et de sa durée, les antidépresseurs peuvent être une possibilité, mais seulement après avoir vérifié au préalable si la personne souffre d’un trouble de santé mentale. »

Une vulnérabilité variable

Une peine d’amour, ce n’est jamais banal, mais tous ne sont pas égaux devant elle.

Les adolescents, qui ont encore du mal avec la régulation de leurs émotions et qui ont tendance à idéaliser leurs premières relations, la ressentiront durement, note la Dre Amirali.

La psychologue Rose-Marie Charest fait pour sa part observer qu’une nature particulièrement fière ou narcissique, de même que des personnes déjà déprimées ou qui consomment de la drogue ou des médicaments sont particulièrement vulnérables quand survient une rupture amoureuse.

Les hommes et les femmes ne vivront pas la rupture amoureuse de la même façon, enchaîne Mme Charest.

« La femme vivra un manque, un sentiment d’abandon, de rejet, et se demandera ce qu’elle aurait pu faire pour retenir son homme. C’est souvent dans ces moments-là que les femmes envisagent la chirurgie esthétique. »

L’homme, lui, « le vivra beaucoup comme une humiliation, un échec de sa virilité ».

Cela étant dit, comme elle le souligne elle-même et comme le dit aussi Brian Mishara, professeur au département de psychologie à l’Université du Québec à Montréal, « personne ne se tue seulement parce qu’il a vécu une peine d’amour. Quand on fouille, on trouve toujours que ces gens ont beaucoup de facteurs de risque et peu de facteurs de protection ».

Agir en amont

Parlant de facteur de protection, y a-t-il moyen de se protéger de la peine d’amour ou, du moins, du gros chagrin à répétition ?

« On peut avoir du désir pour quelqu’un et décider de ne pas aller de l’avant quand on sait que cette personne nous fera du tort. Il faut prendre conscience de ce qui est bon pour soi et de ce qui est mauvais pour soi, être attentif aux signaux de départ. »

— Rose-Marie Charest, psychologue

Avant de se lancer cul par-dessus tête (pour ainsi dire) dans une relation amoureuse, il faut donc s’arrêter et se poser quelques questions fondamentales. « Oui, cette personne m’attire, mais à quel genre de relation amoureuse puis-je aspirer avec elle ? Puis-je avoir une relation de couple stable avec elle ? Des enfants ? Cette personne a-t-elle déjà fui ses responsabilités ? A-t-elle été fidèle ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi le sera-t-elle si elle ne l’a pas été ? »

On peut donc être très attiré par quelqu’un sans être compatible avec cette personne, souligne-t-elle. Cela semble une évidence, mais en plein coup de foudre, c’est plus difficile de garder la tête froide. Il ne faut pas voir seulement si la personne nous convient, « mais aussi si la relation que l’on peut bâtir avec elle peut nous rendre heureux ».

« Il faut se le dire, conclut Mme Charest. On peut essayer de se convaincre que l’infidélité, ça ne nous dérange pas, et Dieu sait combien on a essayé fort de se convaincre que nous croyions en l’amour libre dans les années 70. Mais à l’évidence, pas grand-monde y a trouvé son compte, pas même les dons Juans qui, en allant sans cesse d’une relation à l’autre, ne sont pas plus heureux. »

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