Une enquête originale
La Presse
L’aventure débute en novembre 2015. Clara Beaudoux trouve des lettres, des souvenirs, des magazines, de petits objets. « Je tweetais le matin ce que j’avais découvert l’après-midi précédent, raconte-t-elle. J’écrivais à mesure dans un carnet ce que je ressentais et je le réécrivais de manière assez spontanée, sous forme de tweet, une fois à mon bureau. » Clara ne se doute pas que son projet est suivi par plusieurs personnes sur Twitter. « Certains m’ont accusée de piller la tombe d’une morte pour faire de l’argent, avoue-t-elle. Mais je m’étais assurée qu’aucun descendant ne tenait aux objets. On m’a répondu de m’en débarrasser. »
Clara découvre que Madeleine est née à Bourges, qu’elle a été enseignante, qu’elle aimait voyager. « Ce projet est plein de questions, observe la journaliste. J’ai dû y répondre à ma manière. Au fur et à mesure que le projet avançait, je me demandais : qu’aurait pensé Madeleine de ma démarche ? » Sa pointure de chaussures, les paroles des chansons qu’elle recopiait dans des carnets, chaque fragment de la vie de Madeleine découvert par Clara compose le portrait de cette vie « ordinaire » d’une Française « ordinaire ».
Durant la Seconde Guerre mondiale, Madeleine entretient une correspondance assidue avec un certain Loulou. Au début, Clara Beaudoux croit qu’il s’agit du père de Madeleine, puisque dans ses missives, il l’appelle « mon tout petit ». Mais la journaliste se rend compte finalement que Loulou est l’amoureux de Madeleine. Cette dernière a conservé toutes ses lettres, qu’elle a numérotées et classées. À l’époque, elle vit à Aix, lui, à Paris. Se sont-ils mariés ? Madeleine a-t-elle eu d’autres amoureux ? Mystère…
Madeleine était une véritable archiviste : elle a conservé des lettres mais aussi des notes, des factures, des listes. « Me laissait-elle des indices ? », se demande Clara Beaudoux dans un de ses tweets. La journaliste va à la rencontre des gens qui ont connu Madeleine, ses voisins qui ont vent du projet sur Twitter et qui souhaitent témoigner de leur relation avec la vieille dame, morte à près de 100 ans. Clara Beaudoux rencontrera un témoin privilégié de la vie de Madeleine, son filleul, qui n’était pas au courant de la démarche de la journaliste mais qui l’apprécie beaucoup. Ses souvenirs alimentent la recherche.
Sur Twitter, un certain engouement se manifeste pour le projet de Clara Beaudoux. Les gens l’aident à identifier des lieux, ils répondent à ses questions, ils refont certaines recettes de Madeleine… La participation du public donne des ailes à la journaliste. Elle qui rêvait de faire du documentaire invente une nouvelle façon de raconter une histoire. « Ça m’a fait franchir un pas dans ma vie professionnelle, reconnaît-elle. C’était la première fois que je parlais à la première personne, que je m’investissais dans un projet créatif et subjectif. »
Le livre
paraît ces jours-ci au Québec. « Au départ, je ne voulais pas décliner ce projet autrement que sur Twitter, explique Clara Beaudoux, mais il est vrai que c’est un projet sur la mémoire et sur les traces qu’on laisse, alors ce n’est pas fou de vouloir garder une trace sur papier. Ça permet aussi aux gens qui ne m’ont pas suivie sur Twitter de le découvrir. Je suis en train d’écrire la suite. Je sors de la cave, j’emmène des objets à l’extérieur et j’ai appris beaucoup de choses sur Loulou. »