Opinion

Garder son sang-froid à 40 000 pieds d’altitude

Quand notre avion a été fortement secoué, l'équipage a fait preuve d'un professionnalisme exemplaire

Le 19 juillet dernier, le vol AC1651 d’Air Canada Rouge qui me ramenait à Montréal est parti de la porte J7 de l’aéroport international de Miami comme prévu, à 11 h 55. Après quelques minutes de taxi sur le tarmac, notre Airbus 319 s’est immobilisé sur une voie de circulation, et le commandant a pris le micro pour nous annoncer (en anglais et en français) que la tour de contrôle empêchait depuis quelques minutes tous les avions de décoller vers le nord en raison d’une importante dépression orageuse qui sévissait dans le nord de la Floride. Temps d’attente estimé avant de pouvoir décoller : 45 minutes.

Rapidement, l’équipage nous a offert des collations ainsi que de l’eau, tout en nous confirmant que l’air conditionné allait fonctionner comme il faut tout au long de l’attente même si les moteurs venaient d’être fermés (il faisait 40 degrés à l’extérieur).

Toutes les 15 minutes, le commandant nous tenait au courant des derniers développements, jusqu’à ce qu’il reçoive l’autorisation de décoller vers 13 h 45 après avoir pu changer le plan de vol. L’objectif : contourner la dépression orageuse par l’ouest.

Après 30 minutes de vol, la consigne pour les ceintures de sécurité est toujours allumée, et les agentes de bord (qui n’ont d’ailleurs toujours pas bougé de leurs sièges) n’hésitent pas à prendre l’intercom pour rappeler à l’ordre de manière polie, mais ferme, les passagers qui ont envie de se dégourdir les jambes. « Please sit down, restez assis. »

Nous entamons le contournement de la zone orageuse, et une première zone de turbulences particulièrement intense secoue l’A319. Le commandant reprend le micro pour nous dire de rester bien assis, car nous allons seulement avoir fini de contourner la zone orageuse dans une dizaine de minutes. Après cela, le reste du vol vers Montréal devrait se dérouler sans problème.

Quelques minutes plus tard, nous atteignons une deuxième zone de fortes turbulences, et l’avion se met subitement à jouer à Twister, passant de gauche à droite et de haut en bas avec une énorme violence difficile à décrire, et ce, pendant une dizaine de secondes.

Il y a un silence de mort dans l’avion, silence rompu seulement par les quelques passagers qui ont trouvé la force de crier.

Derrière moi, des femmes en pleurs se mettent à prier en chantant.

Une fois le pire passé, le commandant a repris le micro pour nous annoncer que nous avions terminé de contourner la zone orageuse. « We’re finally through the bad weather, as you may have seen it was quite intense. Nous avons finalement réussi à traverser la mauvaise météo, qui était assez intense comme vous avez pu le constater. »

Le reste du vol s’est déroulé sans problème, même si les prières chantées des femmes inquiètes se sont poursuivies durant une trentaine de minutes. À notre arrivée à une des portes de l’aéroport de Montréal, le commandant nous a souhaité à la sortie une bonne soirée, tout en s’excusant des conditions de vol.

Un exploit logistique

Le 13 juillet dernier, FlightRadar24 a recensé un nombre record de 205  468 vols à travers la planète. Chaque jour, il y a donc plus de 200 000 avions qui décollent et qui atterrissent sans encombre, ce qui est un exploit logistique et technologique phénoménal. Chacun de ces appareils est composé d’un équipage minimal d’un agent de bord et de deux pilotes, qui travaillent souvent des heures épouvantables afin de s’assurer qu’on se rende à bon port.

Malgré l’important retard et les mésaventures fort désagréables subies lors de mon vol vers Montréal, l’équipage est resté calme et zen sans manifester la moindre impatience ou inquiétude. Le commandant a aussi communiqué la situation aux passagers avec une transparence exemplaire tout au long du vol, et ce, autant dans les moments calmes que dans ceux plus inquiétants. Objectivement, j’ai vécu une expérience de voyage que je ne souhaite à personne, mais le professionnalisme des agents de bord et des pilotes a fait en sorte que je suis sorti de l’avion en les remerciant pour leur travail plutôt qu’en ayant envie de les blâmer pour mon arrivée tardive à Montréal et la séance de brassage vécue à 40 000 pieds d’altitude.

Si on prend souvent la peine de mentionner sur les réseaux sociaux nos mauvaises expériences de service à la clientèle avec les compagnies aériennes, je pense que c’est une simple question de justice de prendre quelques minutes pour souligner les bons coups de ces mêmes travailleurs, d’autant qu’on ne leur demande rien de moins que la perfection. Parce que 200 000 fois par jour, ces gens doivent faire décoller et atterrir sans anicroche des engins de plusieurs tonnes qui voyagent à 900 km/h. Et ils n’ont pas le droit à l’erreur.

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