Éditorial : Cannabis

INTERDICTION DU Cannabis AUX MOINS DE 21 ANS
À propos de « la science »

Tout le monde aime la science, on dirait. Le gouvernement caquiste s’en réclame pour justifier l’interdiction du cannabis aux moins de 21 ans. Tandis que les libéraux, péquistes et solidaires invoquent « la science » pour proposer le maintien de l’âge légal à 18 ans.

Ce clivage existe aussi hors de l’Assemblée nationale. La Fédération des médecins spécialistes et l’association des psychiatres appuient la CAQ, tandis que les experts en santé publique et en médecine préventive prônent plutôt le seuil de 18 ans.

Alors, elle dit quoi, la science ? Pas exactement ce que prétendent les caquistes. Car ils se sont arrêtés à mi-chemin dans leur raisonnement.

Pour défendre son projet de loi, le ministre Lionel Carmant s’appuie sur son expérience clinique. Ce neuropédiatre rappelle que le cannabis affecte le développement du cerveau jusqu’à 25 ans. Il veut donc élever l’âge minimal à 21 ans – un compromis arbitraire, reconnaît-il.

Mercredi, le DCarmant a dit avoir déjà vu le cannabis plonger des « enfants » dans le coma ou dans la psychose. « C’est ça, la science ! », s’est-il exclamé.

On peut objecter qu’il ne démontre pas le lien de causalité, et ne précise pas la fréquence des psychoses. Mais pour le reste, reconnaissons son expertise. C’est en effet aux médecins spécialistes de dire si le cannabis pose un risque de santé.

Or, ce n’est pas parce qu’une substance est nocive qu’elle doit être interdite. Sinon, le tabac et l’alcool seraient prohibés. Pour déterminer l’âge minimal, il faut poursuivre le raisonnement, en passant de la médecine clinique à la santé publique. En comparant les avantages et inconvénients de la légalisation sur le plan individuel et collectif.

Le calcul du ministre Carmant et des psychiatres repose sur un pari : en interdisant le cannabis aux moins de 21 ans, on envoie un message. La consommation baissera, ou à tout le moins n’augmentera pas.

Ici, on sort de la science exacte. Les quelques expériences de légalisation, comme le Colorado, ne confirment pas cette hypothèse. C’est la banalisation, et non la légalisation, qui serait davantage associée à une hausse de la consommation. Or, ce qui est légal ne devient pas forcément banal. Tout dépend du modèle de mise en vente et de la campagne de prévention.

Et même si la légalisation menait à une légère hausse de la consommation, cela ne donnerait pas forcément raison au gouvernement caquiste. Il resterait à en évaluer les autres conséquences. Par exemple, quel serait l’impact de la limite de 21 ans pour la santé (taux de THC invérifiable, pesticides), pour la sécurité publique (gaspillage du temps des policiers, maintien du marché noir) et pour la justice sociale (jeunes exposés au crime organisé, judiciarisation d’un choix individuel) ?

Pour y répondre, l’expertise des psychiatres est nécessaire mais non suffisante. Elle sert de point de départ, mais il faut ensuite aller plus loin. C’est aux experts en santé publique de compléter ce travail. Or, l’Institut national de la santé publique est clair : la prohibition a été testée, et elle est un échec. La légalisation à 18 ans aurait plus d’avantages que d’inconvénients.

À sa décharge, le Dr Carmant est cohérent. Pour lui, le risque doit être limité au maximum. S’il fallait refaire l’histoire, il croit même que l’alcool aurait peut-être dû être interdit avant 21 ans.

Mais la vie n’est pas qu’un concours de longévité. Une existence peut avoir d’autres ambitions que de s’étirer dans le temps…

On le comprend, ce débat ne fait pas seulement appel à la « science ». Il contient une dimension philosophique. Quel espace de liberté devrait-on préserver pour un comportement qui ne nuit pas aux autres, et à quel âge devient-on capable de faire ce choix ? Là-dessus, la vérité n’existe pas.

Tout indique que le gouvernement caquiste, fort de son mandat majoritaire, ira de l’avant. Mais dans sa campagne de prévention, il devrait toutefois surveiller son ton. Comme Ronald Reagan dans les années 80, François Legault implore les jeunes de ne pas détruire leur vie avec la drogue. À l’époque, cet alarmisme avait fini par faire rire.

Le premier ministre a le cœur a la bonne place. On le comprend de vouloir retarder l’âge de la première consommation, mais en exagérant, il décrédibilisera la prévention. Car si les jeunes jugent qu’on exagère, ils cesseront d’écouter. Ils risquent alors de s’en allumer un, pour le plaisir de la transgression. En se foutant bien de ce que la science dit.

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