OPINION PASCALE NAVARRO

Croit-on encore à l’égalité ?

Chaque fois que survient une tuerie visant les femmes, on documente la personnalité et le portrait psychologique de son auteur.

Leur mal-être et leur masculinité « brusquée » reviennent souvent comme un trait commun. Leurs mots expriment une frustration ingérable, la souffrance de perdre des privilèges, comme l’expriment les incel, qui n’encaissent pas leurs difficultés amoureuses ou leurs problèmes existentiels. Pour expliquer leur malheur, tout y passe : les femmes, mais aussi les immigrants et les homosexuels, qui font l’objet de terrorisme, de tueries qui sont pris pour cibles.

Le refus du progrès

Le point commun de ces frustrations est un refus et une incompréhension du progrès social.

En effet, avec l’accumulation des portraits et rapports qui renseignent sur ces personnalités, on réalise que tout avancement des valeurs progressistes (égalité, équité, pacifisme) est vu par eux comme une menace à leurs privilèges masculins.

Peut-être que c’est l’une des leçons que nous devrions tirer de ces événements. Que disons-nous, socialement, de ces valeurs ?

Une crise sociale

Animant depuis des siècles les désirs d’affranchissement, le principe d’égalité doit être défendu et promu pour fleurir. À certaines époques, comme dans les années 70, alors que la société nord-américaine profitait d’une économie prospère, l’égalité entre les sexes et entre les peuples est devenue une valeur cardinale. Les politiques sociales étaient financées avec ferveur pour exprimer un désir politique et populaire d’équité. 

Malheureusement, le néolibéralisme a freiné l’élan optimiste de notre société. Désormais, tous les combats pour l’égalité, à commencer par le féminisme, sont vus comme des ennemis, en concurrence avec ce qui est valorisé par le libéralisme : l’individu riche et dominateur, mais en réalité une caricature et une chimère, car il y a peu d’élus dans ce clan.

Parler d’une crise de la masculinité est donc un mythe, comme l’affirme le professeur Francis Dupuis-Déri (La crise de la masculinité : autopsie d’un mythe tenace, Éditions du Remue-ménage). Il s’agit bien davantage d’une crise sociale.

Notre responsabilité : promouvoir l’égalité

Le rêve d’une société égalitaire n’est pas mis en valeur par notre culture, qui fait plutôt régner l’idée de supériorité, de force et de domination que ce soit par l’argent, la réussite, le conformisme, la puissance.

Or l’égalité nécessite que chacun contribue au bien-être des autres. Elle est donc vue par les adeptes de la loi du plus fort comme un vecteur de faiblesse.

Si certains hommes sont malheureux et désespérés, ce n’est ni la faute aux femmes, ni aux féministes, ni à l’école trop féminisée. C’est la démission de sociétés qui valorisent la domination des plus forts sur les plus faibles. Comme le souligne Louis-Georges Tin dans le magazine Slate en faisant référence à Pierre Bourdieu, « les hommes dominants sont dominés par leur propre domination ».

À cela il faut opposer un discours concurrent populaire et constant sur l’égalité et que nous le portions dans toutes les sphères de nos vies, à la maison comme à l’école, au travail et dans l’intimité comme dans l’espace public.

À la racine

La semaine dernière, des reportages ont levé le voile sur la violence sexuelle à l’école… primaire. Vous avez bien lu. L’école primaire de votre quartier est loin des tueurs qui font l’actualité. Mais qu’enseigne-t-on aux enfants ? Quelles valeurs ?

Certaines écoles au Québec ont intégré dans leurs activités les pratiques de médiation, qui apprennent aux enfants comment résoudre des conflits. D’autres écoles ont créé des cercles de philosophie pour enfants, approche qui leur permet de poser des questions ultrapertinentes sur les différences, l’égalité, justement, et leurs souffrances.

Mais on en est toujours à de sempiternels projets pilotes, ou encore à mener des expériences, alors qu’on sait aujourd’hui que : 

1- tous les enfants bénéficieraient de ces approches de non-violence, d’écoute et d’empathie ;

2- les preuves sont faites que le traitement fait aux enfants marqueront à jamais leurs comportements futurs ;

3- cultiver des valeurs progressistes est la meilleure façon de façonner un terreau où l’égalité des races, des genres, des classes sociales, de toutes et tous poussera droit.

Qu’est-ce qu’on attend pour implanter ces programmes dans toutes les écoles ?

Je ne vois pas autre chose pour que filles et garçons apprennent tout jeunes qu’ils sont capables du meilleur. Qu’ils découvrent et acceptent aussi que les déceptions, la frustration, font partie de la vie.

Tout cela demanderait de faire des choix de société : investir dans les chantiers, les mines, les transports, c’est bien. Mais investir dans notre humanité est plus essentiel encore.

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