OPINION

LUTTE CONTRE L’OBÉSITÉ INFANTILE Quand travail acharné et bonne volonté ne suffisent pas

En 2010, après avoir participé à un conseil scientifique international de prévention de l’obésité et des maladies cardiovasculaires chez les jeunes aux États-Unis à titre d’experte pour l’American Heart Association, conseil lors duquel nous venions d’approuver le programme Let’s Move ! de la première dame, Michelle Obama, l’idée est née de pallier l’absence de prévention chez les jeunes souffrant d’obésité au Québec.

Je n’étais pas la première à me lancer, puisque bien d’autres avant moi y avaient déjà consacré leur vie, mais de compression budgétaire en compression budgétaire, la prévention est devenue l’enfant pauvre de la médecine.

Je souhaitais tout de même me battre pour faire reconnaître le droit de ces enfants à des traitements, et j’étais persuadée que la science démontrée dans ce domaine et la logique même auraient raison de nos gouvernements. Après tout, les complications associées à cette maladie coûtent aux contribuables québécois environ 1,5 milliard de dollars par année.

Réseau d’action en santé cardiovasculaire

Habitée par un idéalisme pur, c’est dans cet esprit que j’ai créé, en 2013, le Réseau d’action en santé cardiovasculaire (RASC), un organisme à but non lucratif entièrement consacré à la lutte contre l’obésité infantile et à la prévention cardiovasculaire chez les jeunes. L’organisme offre des soins de santé multidisciplinaires (l’Approche 180) aux personnes plus vulnérables et à leurs familles, le tout basé sur des données scientifiques reconnues mondialement, entre autres par l’Organisation mondiale de la santé.

L’obésité est une maladie au même titre que toutes les autres et il m’apparaît désormais injuste que 30 % de nos enfants, au Québec, soient laissés sans éducation par rapport à la santé et sans traitement.

Plus de la moitié de mes jeunes patients souffrent, pas uniquement de la maladie en soi, mais aussi d’intimidation, de préjugés, de perte d’estime de soi, de dépression, et ce, parfois même avant l’âge de 10 ans. L’obésité touche plus d’une centaine de gènes, mais nous nous entendons tous pour dire qu’elle est principalement causée par notre mode de vie moderne et notre absence d’éducation à la santé.

Cinq ans après le lancement du RASC, 80 % de nos patients vont mieux, mais plus de 150 familles attendent toujours de recevoir des soins dans nos deux points de service ; le temps d’attente est de plus d’un an, uniquement à Montréal.

Les experts sont unanimes : la société de demain sera plus fragile, de moins en moins performante, de plus en plus malade, et nos enfants n’auront pas les moyens de tous nous traiter.

Les transferts en santé et la bourse du Ministère diminuent d’année en année, mais la charge économique de ce fardeau planétaire, ce gouffre financier qui frappe à notre porte, ne peut continuer d’être ignorée ainsi. Des choix déchirants attendent nos enfants et nos petits-enfants, et ce, tout en continuant de toucher et de faire souffrir les plus démunis.

Face à l’absence d’une politique gouvernementale claire pour combattre cette épidémie chez les jeunes, après des centaines d’heures de bénévolat passées à quêter pour traiter, trop souvent écrasés par la force de l’industrie de la malbouffe, face à l’absence de débat de fond de la part de ceux qui prétendent vouloir une société meilleure pour nos enfants, devant un secteur privé extrêmement généreux, mais sursollicité, je dois me rendre à l’évidence que le travail acharné et la bonne volonté ne suffisent pas pour aider ces jeunes.

Pour l’avenir de tous ces Québécois stigmatisés, je me vois dans l’obligation morale de démissionner de la présidence du RASC et de laisser ma place à celui ou celle qui saura se mesurer à ces acteurs qui basent davantage leurs décisions sur la cote de popularité de leurs réseaux sociaux, les sondages et le marketing à outrance que sur les véritables enjeux.

Quand une société ne progresse que par la gestion de crises médiatisées et non par une vision à long terme, les organismes à but non lucratif crèvent de faim pour améliorer le bien commun et se mangent entre eux, car il y a une limite aux crédits fiscaux de bienfaisance de nos grandes entreprises.

Le coût moyen d’une chirurgie bariatrique au Québec est de 10 000 $ alors que l’hospitalisation pour un infarctus (dont la cause est souvent l’obésité non traitée) coûte 20 000 $ à la société, sans compter les années d’invalidité et la perte de qualité de vie qui y sont rattachées.

À l’opposé, 25 heures de traitement pour un jeune suivi par l’Approche 180 coûtent 2000 $ et c’est toute sa famille qui en bénéficiera pour la vie. Ce n’est pas uniquement la solution la plus économique pour notre société, c’est également le seul moyen efficace démontré par l’OCDE pour traiter cette maladie avant d’en arriver à des complications désastreuses.

Je continuerai à traiter mes jeunes patients, à faire rayonner l’Approche 180 et en être la gardienne scientifique, tout en continuant de porter le chapeau de porte-parole du RASC, bénévolement, mais je laisse les professionnels du lobbying faire leur travail. 

Je suis persuadée que le nouveau président défendra aussi bien que moi les intérêts du RASC. Je réitère également ma confiance en notre conseil d’administration pour trouver les fonds nécessaires qui nous permettront de poursuivre notre mission et qui permettront un jour au Québec d’économiser des milliards, améliorant ainsi la qualité de vie de tous et sauvant plusieurs personnes. Et j’espère de tout cœur que le gouvernement qui sera élu le 1er octobre sera au rendez-vous.

Une jeunesse en santé, c’est la richesse de notre collectivité.

* Julie St-Pierre est aussi directrice du Centre d’excellence en obésité infantile de la Fondation des étoiles du Québec.

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