L’AVIS DU NUTRITIONNISTE

L’indésirable appétit

Une nouvelle publicité s’est infiltrée dans mon fil de photos sur Instagram. Il s’agit d’un supplément assez connu qui, à ma connaissance, était autrefois vendu comme un « régulateur de la fonction intestinale ». La publicité en question l’affiche toutefois sous une autre appellation, soit celle de « régulateur d’appétit ». Même produit, marketing différent.

Une seule cuillérée de cette poudre permettrait de réduire l’appétit de façon temporaire. Comment se fait-il qu’un supplément efficace contre la constipation soit désormais poussé par le fabricant pour contrôler notre appétit  ? C’est simplement une question de fibres. Elles sont puissantes et leurs pouvoirs se manifestent sous différentes formes. Ces derniers peuvent être vantés, à l’avantage de l’industrie, à grands coups d’allégations régulées par le gouvernement. Je ne désire toutefois pas chanter ici les louanges des fibres. Certes, elles procurent de nombreux bénéfices, mais je vous conseille de les rechercher dans de vrais aliments – les fruits, les légumes, les légumineuses, les grains entiers – plutôt que dans une bouteille de plastique.

En fait, je trouve assez ironique qu’on me propose de réguler mon appétit entre la photo d’un brunch dans un restaurant populaire de Montréal et celle d’une recette de gâteau au chocolat. Mais cette association semi-aléatoire élaborée par l’algorithme d’Instagram reflète tout à fait la relation qu’entretiennent bon nombre de personnes avec la bouffe. Un petit cycle parsemé d’aliments « interdits » et de restrictions.

Je ne sais pas quand l’entreprise en question a modifié son message, mais il s’agit certainement d’une décision réfléchie en fonction du marché. Contrôler son appétit doit vendre davantage que contrôler ses mouvements intestinaux.

Alors que la faim est un signal corporel qui nous indique qu’il est temps de se nourrir, l’appétit relève plutôt d’une envie de manger des aliments. C’est être attiré par ceux-ci. L’appétit, c’est lorsque vous n’avez plus faim du tout après un repas, mais qu’une petite place se crée soudainement à la vue du dessert qu’on vient de déposer sur la table. C’est probablement votre appétit, plutôt que votre faim, qui vous fait acheter du popcorn à la seconde où vous entrez dans le cinéma. C’est aussi l’appétit qui vous fait saliver en vous attablant devant un repas.

Le contrôle de l’appétit, dans le but de maintenir ou de perdre du poids, n’est pas un nouveau concept. De nombreux livres ont été rédigés sur le sujet, parfois par des professionnels de la santé. 

Il est plus acceptable socialement de dire qu’on vous aide à contrôler votre appétit, plutôt que de vous soumettre à une diète ou à un régime, puisque ces méthodes d’amaigrissement ont souffert – avec raison – d’une mauvaise presse.

Ainsi, pour contrecarrer les pièges de l’environnement alimentaire, on vous incite à utiliser des tactiques afin de piéger votre propre corps. Plutôt que d’apprendre à s’y retrouver au travers de toute cette bullshit nutritionnelle et plutôt que d’écouter votre corps et d’apprendre à manger à votre faim – en lui fournissant de vrais aliments –, on vous encourage à contrôler ou à réguler votre appétit.

Fibres et protéines pour tout le monde ! Partout. Dans tout. Ces nutriments calmeront cette faim indésirable. Ils tairont votre appétit. Luttez contre vos envies. Vous êtes plus fort(e)s qu’elles.

Quel message envoie-t-on lorsqu’on dit qu’il faut user de moyens externes pour contrôler son appétit ?

Que notre corps est mal fait. Que c’est nous le problème. Pas l’environnement alimentaire. L’appétit s’est ainsi transformé en un concept négatif. Un ennemi qui vous fait ingurgiter plus de calories que nécessaire. Pour devenir ou rester mince, vous devez entrer dans un combat continuel envers les signaux envoyés par votre corps.

Mais vous savez quoi ? Plus on se prive des aliments qu’on aime, plus l’envie de les manger – donc l’appétit – grandit.

Quand on vous invite à contrôler votre appétit, on vous invite à mettre un petit pansement qui finit toujours par tomber.

Qu’est-il arrivé au simple concept de manger quand on a faim et d’arrêter quand on n’en veut plus ? D’écouter nos envies, plutôt que de les contrôler – temporairement – avec des protéines et des fibres ?

On gagnerait probablement plus à apprivoiser cette sensation. Lorsqu’on lui laisse la place pour s’exprimer, elle décuple les plaisirs de la table. Ce n’est pas quelque chose qu’on doit tenter de réguler, de taire ou de détruire, quoi qu’en disent les control freaks de l’appétit.

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