OPINION UN PRINTEMPS SANS LES CANADIENS 

Une marque de renom à la croisée des chemins

Le Tricolore doit se renouveler tout en préservant sa cohérence et son authenticité

Le contexte et le danger

Le 29 juin 2015 : un coup de tonnerre venait de frapper l’univers des amateurs de hockey montréalais, alors que P.K. Subban était échangé aux Predators de Nashville. L’organisation a coupé, à ce moment-là, un lien important avec sa base de partisans, car ce joueur représentait un ambassadeur de choix dans la communauté, une source de fierté et d’identification au Canadien. En somme, un point d’ancrage émotionnel qui nous rattachait au club et remplissait les gradins, même lorsque le Canadien ne gagnait pas (ou plus).

Une marque, c’est ce que les gens pensent de vous quand ils pensent à vous. C’est comprendre qui on est et à quoi on sert. Que pensez-vous de la marque du Canadien en 2018 ?

Sous le joug de la « financiarisation » du sport, où les organisations professionnelles mettent l’accent sur les revenus, les profits et la valeur de marque, notamment autour d’un stade « multifonctionnel » qui se transforme en complexe à la fois immobilier, commercial, culturel et sportif, on oublie que le partisan est le client final de l’expérience sportive. Il est donc dommage et paradoxal de constater qu’on s’en occupe de moins en moins, sauf quand il s’agit de puiser dans son portefeuille.

Le monde change et l’industrie du sport doit aussi changer ; d’autant plus, au risque de leur déplaire, que les ligues ont tendance à évoluer en vase clos.

Car il est faux de croire qu’une marque, autrefois établie, ne peut péricliter dans son marché, que ce soit dans le sport (Chargers de San Diego (NFL), Cosmos de New York (NASL), SuperSonics de Seattle (NBA), etc.) ou dans d’autres industries (Pan Am, Sears, Steinberg, Miracle Mart, etc.). Certes, il existe un lien émotionnel puissant dans le sport. Mais ce lien peut être brisé de manière irréparable si on sombre dans la myopie marketing, en faisant fi de son environnement et en tenant ses clients pour acquis.

Se recentrer sur le produit et les partisans

Avec le statut viennent les privilèges, mais aussi les obligations. Tout d’abord, il est urgent pour le Canadien de focaliser sur le produit et la qualité de ce dernier sur la patinoire : c’est l’essence même de la promesse de marque. On ne saurait demander aux partisans, aussi bien les corporations que les particuliers, de débourser des prix « premium » pour un produit médiocre ; ou pire, les inviter à encourager une équipe dans laquelle la direction elle-même ne croit pas. En tout cas pas dans le contexte où le Canadien rivalise avec plusieurs offres de divertissement pour le dollar discrétionnaire de ses fans.

Avec le cinéma maison, le streaming et une pléthore d’options de divertissement, les consommateurs ont le choix de dépenser leur dollar-loisir comme bon leur semble. Cela est d’autant plus un défi avec les milléniaux, dont la fidélité aux marques est toute relative, au point où l’on se réfère au concept de « multifidélité » ; et cette difficulté ira en crescendo avec les changements démographiques et les familles qui n’ont pas grandi avec le hockey et les Canadiens.

Ensuite, il convient d’instaurer un véritable dialogue où les fans deviennent des « fan-acteurs » potentiels, c’est-à-dire à la fois des co-créateurs de leur expérience et des ambassadeurs de la marque sportive. Le Canadien, à l’instar d’autres équipes, se défendra en soulignant aussi bien sa contribution sociale que la relation qu’il entretient avec ses partisans : c’est bien, mais trêve de complaisance !

Se rapprocher des partisans, créer une proximité, tout cela favorise le développement d’un lien de confiance et l’implication du fan sur la durée. C’est pourquoi, en tant que gestionnaire, il faut être « fan de ses fans ».

À l’ère du « sportainment » (fusion du sport et du divertissement), l’expérience, que ce soit à l’aréna ou à l’extérieur du stade, et sans faire oublier le produit sur le terrain, doit savamment l’accompagner.

S’il n’est pas trop tard pour rallumer la flamme de ce qui fut, il y a trop longtemps déjà, l’équipe surnommée Les Glorieux, le Canadien et leur marque sont à la croisée des chemins. Une marque forte doit se renouveler tout en préservant sa cohérence et son authenticité. Ce qui implique de respecter son ADN, sans renier son passé ; mais aussi d’écouter, de respecter et de refléter son milieu changeant, ce que les équipes sportives en déclin ont oublié, par dessein ou manque de vision.

Le lecteur aura en tête les exemples des Sénateurs, dont les décideurs porteront inévitablement le coup de grâce à la franchise d’Ottawa en échangeant Erik Karlsson, ainsi qu’aux défunts Expos, dont les pauvres amateurs, et j’en faisais partie, étaient abonnés aux « ventes de feu ».

À l’horizon

Que sera la marque du Canadien dans 5, 10 ou 20 ans ? Sera-t-elle aussi forte qu’elle l’a jadis été ?

Pour reprendre ce que j’énonçais plus tôt, une marque, c’est l’image que les consommateurs ont de vous et la valeur que vous leur procurez. Un dirigeant sportif peut en faire ce qui l’inspire, à condition d’avoir du contenu, des émotions et de l’espoir à offrir à ses clients.

Quelle marque les dirigeants du Canadien veulent-ils léguer à leurs partisans d’aujourd’hui et de demain ?

C’est grâce à un engagement à l’égard du produit sur le terrain et un souci sincère des fans que la marque du Canadien retrouvera de son lustre et pourra redevenir un fier porte-étendard de Montréal. Et vous savez quoi ? Des fans à nouveau satisfaits et heureux feront en sorte que le capital de marque financier du Canadien sera encore plus fort. 

* Depuis plus de 15 ans, André Richelieu travaille dans le domaine du marketing du sport et du sport business. Il s’intéresse tout particulièrement à la construction et à la gestion de la marque des organisations. Il est le coauteur de Marketing du sport – Une vision internationale (Éditions De Boeck) à paraître en avril 2018.

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