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Le premier film québécois de Netflix sera aussi le premier long métrage de Patrice Laliberté. Entrevue avec le réalisateur et ses comparses de la boîte de production Couronne Nord.

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Netflix mise sur un thriller nordique québécois

Pour son premier film produit et tourné au Québec, le géant américain Netflix fait un pari audacieux : miser sur une boîte de production, Couronne Nord, et un réalisateur, Patrice Laliberté, qui en seront à leur premier long métrage en carrière.

« Je me pince encore. C’est vertigineux, mais c’est un beau vertige », dit Patrice Laliberté, un réalisateur de 32 ans qui a plusieurs courts métrages à son actif.

Sans titre pour l’instant, ce film, qui sera tourné en français, est un thriller de survie qui se déroulera l’hiver dans une région du Québec. On y traitera de nordicité, de survivalisme et de préparation à l’apocalypse. « Ce sont des gens qui se préparent à un bris de normalité », dit Guillaume Laurin, producteur au contenu de Couronne Nord.

« Le film est fondamentalement québécois », raconte Patrice Laliberté, qui doit être avare de détails sur le scénario à ce stade-ci du projet. « On raconte une histoire québécoise, avec une langue qui est la nôtre, des allusions à notre culture et notre cinéma. »

« Netflix nous donne une chance rare et inouïe : permettre d’exporter notre histoire au monde entier. Bizarrement, le cinéma québécois ne parle presque jamais de sa nordicité. »

— Patrice Laliberté, réalisateur

Ce film sera le premier produit par Netflix au Québec dans le cadre de son entente de 500 millions avec le gouvernement fédéral annoncée en septembre 2017. Il disposera d’un budget équivalant à celui d’un film d’envergure au Québec financé par Téléfilm Canada et la SODEC, soit environ 5 millions de dollars. Il se fait habituellement une demi-douzaine de films québécois par an avec un budget de cette envergure. Le tournage du film pour Netflix doit commencer en février. Le choix des acteurs aura lieu au cours des prochaines semaines. Aucune date de sortie sur Netflix n’a été déterminée pour ce film qui fera partie de la série Netflix Original.

Couronne Nord, une boîte de production fondée par Patrice Laliberté, Julie Groleau et Guillaume Laurin (les trois amis ont tous grandi dans la couronne nord de Montréal, d’où le nom de leur boîte), en sera aussi à son premier long métrage. Couronne Nord et Patrice Laliberté se sont distingués en faisant plusieurs courts métrages, notamment Viaduc (2015), qui a gagné une quinzaine de prix dans le monde, dont le meilleur court métrage canadien au Festival international du film de Toronto (TIFF).

Un geste de désespoir

Malgré tous ses efforts, Couronne Nord n’a jamais réalisé de long métrage, incapable d’en financer un à travers les institutions publiques (Téléfilm Canada, SODEC). Les jeunes producteurs avaient d’ailleurs la mine basse à pareille date il y a un an. Patrice Laliberté songeait à quitter le métier avant même d’avoir pu réaliser un long métrage.

« Il y a un an, j’arrêtais, c’était trop difficile, dit-il. J’étais tanné, je m’en allais ailleurs, probablement en jeu vidéo pour rester dans le domaine créatif. »

« Quand tu as 32 ans et que tu demandes à ton père de payer ton loyer, et que tu manges du beurre de peanut et du gruau depuis trois ans, tu te poses des questions sur ton choix de carrière de 16 ans. »

— Patrice Laliberté

Sauf que la vie est drôlement faite. « J’ai eu un contrat de pub super payant par hasard, et c’était au Portugal », dit-il. Il retarde donc sa « retraite » de quelques mois. De retour, il va prendre un café avec son ami scénariste Nicolas Krief. « On rushait à se payer des cafés », se rappelle Nicolas Krief, qui a écrit quatre scénarios sans en avoir vu un porté à l’écran.

Les deux amis tentent alors le grand coup : retravailler un scénario d’un thriller de survie qu’ils passent sans succès à des producteurs depuis deux ans. « C’était un geste de désespoir. C’est drôle, parce que quand on présentait le scénario, les gens du milieu nous disaient que c’était un scénario de type Netflix », dit Patrice Laliberté.

Ils font des demandes de subvention. Ils obtiennent bien 125 000 $ d’un programme de microbudget de Téléfilm Canada, sauf que c’est nettement insuffisant pour tourner un film.

Quelques semaines plus tard, les deux comparses se présentent au rendez-vous donné par Netflix aux producteurs québécois à Montréal. Avec leurs t-shirts, ils détonnent dans la salle remplie de producteurs plus expérimentés. « On n’avait aucun rapport là », dit Patrice Laliberté.

Ce sont toutefois eux qui feront le premier film de Netflix au Québec. Et ils sont conscients que leur vie professionnelle vient de changer. « Là, on ne sera plus underground », dit Guillaume Laurin.

Le tournage ne commence qu’en février. Mais Patrice Laliberté, qui attend depuis des années de faire son premier film, sent déjà la pression. Une pression qu’il compare – on est cinéaste ou on ne l’est pas – à une scène de cinéma. « Je me sens comme Eminem dans [le film] 8 Miles : “You got one shot, one opportunity.” Je suis sur le bord de vomir mon spag. »

« Ça va faire bouger l’écosystème »

L’entente entre Ottawa et Netflix a été annoncée dans la controverse il y a un an. Pour l’instant, Ottawa ne force pas Netflix à percevoir la TPS sur ses abonnements au Canada, ce que dénonce la grande majorité des intervenants du milieu culturel au Québec. Qu’en pensent les premiers cinéastes qui travailleront pour Netflix au Québec ? « C’est un problème mondial, c’est beaucoup plus haut que nous », dit Guillaume Laurin, producteur au contenu de Couronne Nord. « Le côté positif [de l’entente], c’est que les Américains viennent avec de l’argent privé, ils investissent et nous permettent d’exporter nos histoires à l’international, dit le réalisateur Patrice Laliberté. Je ne vois que du positif, je pense que ça va faire bouger l’écosystème du cinéma. »

— Vincent Brousseau-Pouliot, La Presse

Qu’est-ce que Couronne Nord ?

Boîte de production qui a produit des pièces de théâtre, des séries web et des courts métrages, dont Viaduc (2015), le meilleur court métrage canadien au Festival international du film de Toronto (TIFF). Fondée en 2012 par la gestionnaire et productrice Julie Groleau, 35 ans, le réalisateur Patrice Laliberté, 32 ans, et le producteur au contenu Guillaume Laurin, 28 ans, qui est aussi acteur (Fourchette à TOU.TV, Ceci n’est pas un polar). Pour le projet de film pour Netflix, le scénario a été écrit par Nicolas Krief et Charles Dionne.

— Vincent Brousseau-Pouliot, La Presse

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« Ce n’est que le début », dit Netflix

Ce thriller nordique de Patrice Laliberté n’est « que le début » d’une série de projets québécois pour Netflix, estime le géant américain.

Il y a un an, Netflix a signé une entente avec le gouvernement fédéral pour dépenser au moins 500 millions sur cinq ans afin de produire des films au Canada. L’entente ne comprend pas de quota francophone. Sauf que Netflix, qui se dit conscient de la créativité québécoise, veut faire plusieurs projets au Québec. L’entreprise annonce ce matin son premier projet original de film, un thriller nordique produit par Couronne Nord et réalisé par Patrice Laliberté.

« Nous sommes engagés à vouloir faire rayonner le talent québécois. C’est seulement le début de ce que nous espérons être une belle relation [avec le milieu culturel québécois]. […] Nous voulons être une autre option pour les cinéastes pour que leurs histoires soient racontées. Nous voulons continuer d’être à l’avant-garde pour les créateurs », dit Funa Maduka, vice-présidente de l’équipe de développement et d’acquisition de contenu de Netflix Original Films, en entrevue à La Presse.

Oser choisir des « recrues »

Le projet de Couronne Nord et du réalisateur Patrice Laliberté a vite retenu l’attention des dirigeants de Netflix après une première présentation en mai dernier. « Nous cherchons de bonnes histoires, dit Funa Maduka. Après cinq ans chez Netflix, j’en ai une bonne idée et je pense que ce projet va résonner très bien auprès de notre auditoire. En plus, on aimait beaucoup l’énergie de l’équipe de Couronne Nord, qui nous a beaucoup impressionnés. Elle avait tous les ingrédients dont nous voulions. »

Et le fait que les producteurs et cinéastes québécois en seront à leur premier long métrage ? « Nous n’avons pas peur de travailler avec des créateurs “recrues” », dit Funa Maduka.

« Au final, il faut voir l’ADN de l’équipe. Nous avons été vraiment impressionnés par leurs courts métrages, surtout la façon dont ils communiquent avec le spectateur. »

— Funa Maduka, vice-présidente de l’équipe de développement et d’acquisition de contenu de Netflix Original Films

En février dernier, Netflix a acheté les droits internationaux du film québécois Les affamés, de Robin Aubert, qui a été primé au Festival international du film de Toronto. « Robin est devenu un ami et c’est un créateur talentueux que Netflix est fier de présenter à travers le monde, dit Funa Maduka. Quand j’ai rencontré Patrice, Julie et Guillaume [de Couronne Nord], j’ai senti la même étincelle. »

D’autres projets en vue au Québec ?

Y aura-t-il bientôt d’autres projets de films ou de séries télé annoncés par Netflix au Québec dans le cadre son entente de 500 millions sur cinq ans ? L’entreprise américaine ne peut donner de détails sur ses projets futurs, mais il semble évident qu’elle a d’autres projets en vue au Québec. « Nous avons rencontré beaucoup de gens [en mai dernier], nous avons reçu plusieurs dizaines de projets et nous continuons nos conversations pour trouver des projets », dit Funa Maduka.

Netflix n’a pas précisé le montant de son investissement total au Canada ou au Québec depuis un an.

Outre Les affamés, Netflix a acheté le dernier spectacle de l’humoriste Martin Matte (Eh la la… !), qu’il diffusera en 2019 en version sous-titrée. Quatre humoristes québécois – Louis-José Houde, François Bellefeuille, Katherine Levac et Adib Alkhalidey – partageront aussi la vedette d’une série d’humour de Netflix qui réunira une cinquantaine d’humoristes de 15 pays.

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