« MEN’S SHED »

Un hangar pour réduire l’isolement chez les hommes

Un nouveau concept venu d’Australie fait son apparition au Canada : le « Men’s Shed », le hangar pour hommes, un groupe de soutien communautaire visant les hommes, particulièrement les hommes âgés, qui ne sont pas à l’aise avec les discussions en rond dans les groupes de soutien communautaire habituels.

« Les usagers peuvent vaquer à de petits travaux horticoles ou de menuiserie », explique John Oliffe, professeur de l’école de sciences infirmières de l’Université de Colombie-Britannique qui a reçu du financement de la fondation Movember pour faciliter la création de hangars pour hommes au Canada. « L’objectif est de réduire l’isolement des hommes et de les mettre en contact avec des intervenants qui peuvent détecter des problèmes de santé ou psychologiques avant qu’ils ne dégénèrent. 

Les femmes sont généralement plus sensibles à la dépression que les hommes, mais les proportions s’inversent à la retraite, parce que les femmes trouvent plus facilement le moyen de garder des contacts sociaux. Il y a aussi un volet thérapeutique en soi : les hommes, particulièrement les retraités, aiment se sentir utiles en faisant des petits travaux, de la menuiserie. Compléter une tâche manuelle est une stratégie masculine pour réduire le stress. »

Le mouvement Men’s Shed est apparu dans des régions rurales du sud de l’Australie il y a 20 ans, à l’occasion d’une crise économique. « Il y avait beaucoup de vétérans du Viêtnam dans la région », explique Barry Golding, de l’Université de la Fédération à Ballarat, à l’ouest de Melbourne, qui a été l’un des premiers chercheurs à s’intéresser au phénomène. « Ils avaient l’habitude de se rencontrer dans des hangars de jardin pour garder contact. Il faut dire que l’établi dans le hangar du jardin est une tradition en Australie. Un livre de photos sur le sujet a suscité beaucoup d’intérêt en 1995. Ça a attiré l’intérêt des médecins en gériatrie, qui se demandaient comment aider les hommes, qui traditionnellement n’aiment pas beaucoup les groupes de discussion.

POPULAIRE EN IRLANDE

Le premier Men’s Shed a ouvert ses portes à Tongala en 1998 et à partir de 2005, le concept a fait partie de l’approche officielle du ministère de la Santé. Il y a maintenant 1400 hangars pour hommes dans le monde, dont 30 % ailleurs qu’en Australie. »

Le concept a été particulièrement populaire en Irlande, à la faveur de la crise économique à partir de 2009, selon Corey Mackenzie, chercheur en gériatrie à l’Université du Manitoba. « En Australie, ce sont davantage des retraités et en Irlande, plus des chômeurs, dit M. Mackenzie. Mais une déclinaison du concept a aussi été proposée pour venir en aide aux jeunes décrocheurs, particulièrement ceux qui n’ont pas connu leur père. On les apparie avec des hommes plus âgés pour apprendre à faire des petits travaux. »

L’un des freins au Canada est la question des assurances, selon M. Oliffe, de l’Université de Colombie-Britannique. « Ça peut paraître trivial, mais on parle d’outils avec lesquels on peut se blesser. En Australie, l’association nationale des Men’s Sheds fournit des assurances automatiquement. Mais ici, les modalités des assurances sont différentes pour chaque province. Nous travaillons à régler le problème. »

L’approche a connu des critiques. « Certains nous reprochent de perpétuer le stéréotype des hommes qui sont seulement manuels et n’ont pas d’habiletés sociales », explique Dominic Bizot, un professeur de travail social de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) qui travaille à un hangar pour hommes itinérant. « On peut en débattre. Mais il est certain qu’avec les hommes plus âgés, il est plus difficile de changer les habitudes sociales. »

AU QUÉBEC AUSSI

Au moins quatre projets basés sur le concept australien de « Men’s Shed » ont vu le jour ces dernières années au Québec. À Montréal, le conjoint de la fondatrice de l’atelier d’artistes communautaire La Ruche, dans Saint-Henri, lance cet été un volet « masculin » qui visera à faire les travaux de menuiserie nécessaires au bon fonctionnement de La Ruche, par exemple la fabrication des cadres en bois ou de menus travaux, comme la construction d’une table à pique-nique. À Rivière-du-Loup, un projet a été annoncé l’an dernier, qui devrait ouvrir ses portes cet été dans une maison de jeunes, avec du financement du Programme Nouveaux horizons pour les aînés du gouvernement fédéral. L’automne prochain, à Saguenay, Dominic Bizot, de l’UQAC, lancera le projet itinérant « Homme Atout », qui consiste en deux conteneurs, dont l’un abrite un établi pouvant accueillir cinq hommes, qui seront installés deux semaines à la fois à divers endroits de la région. Le projet de l’UQAC est financé par la fondation Movember. Enfin, à Baie-Comeau, une maison d’hébergement père-fils a ouvert un établi pour ses pensionnaires inspiré de Men’s Shed.

— Mathieu Perreault, La Presse

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