La loi a-t-elle assez de mordant ?

Contrairement au ministre Luc Fortin qui se montre très optimiste, les professeurs spécialisés dans les questions liées à la Charte de la langue française doutent que l’ajout d’un descriptif ou d’un générique en français redonne un visage très français à Montréal.

D’entrée de jeu, en entrevue, Luc Fortin, ministre responsable de la Protection et de la Promotion de la langue française, lance cette statistique à propos du centre-ville de Montréal. « En 2010, 77 % des commerces étaient conformes à la Charte de la langue française, et on est passé à 82 % en 2012. »

(La statistique vaut pour l’affichage en vitrine, mais pas pour les marques de commerce, qui, d’ici 2019, peuvent en toute légalité ne s’afficher qu’en anglais.)

Dans 98 % des cas, poursuit-il, les problèmes « se règlent par un accompagnement. […] Les entreprises ont le souci d’être conformes aux lois et aux règlements du Québec ».

Après avoir perdu sa cause contre les multinationales en 2015, Québec a réagi en modifiant la Charte de la langue française pour obliger en bonne et due forme les entreprises à ajouter un descriptif ou un générique à leur marque de commerce en anglais.

Celles qui ouvrent boutique doivent se conformer à ce nouveau règlement tout de suite. Les autres ont jusqu’en 2019 pour le faire.

Le ministre Luc Fortin, responsable de la Charte de la langue française, assure que cela apportera une grosse amélioration et que le nouveau règlement sera facile à mettre en application. « C’est très simple. Quand la marque de commerce est visible de l’accès routier, le message en français devra l’être aussi. Dans un centre commercial, il devra être visible de l’allée. » Selon les échos qu’en a M. Fortin, les entreprises entendent se conformer.

Flou linguistique

Guillaume Rousseau, de l’Université de Sherbrooke, croit au contraire que ce critère de visibilité sera loin d’entraîner une révolution et qu’il est loin de la « nette prédominance » exigée pour l’affichage autre que la marque de commerce.

« Il faudra que ce soit visible, mais visible pour qui ? À quel degré de myopie ? La “nette prédominance”, elle, est claire ; elle oblige à une proportion de deux tiers en français. »

— Guillaume Rousseau, professeur à l’Université de Sherbrooke

Avec un règlement pas très exigeant et des tribunaux qui font une interprétation assez minimale en ces matières, Guillaume Rousseau pressent que l’affaire sera loin d’être réglée. 

« On n’a plus l’esprit de résistance qu’on avait, dit l’ex-ministre Louise Beaudoin, cette passionaria de la langue qui fut un temps responsable de l’application de la Charte de la langue française. Quand la question nationale prend moins d’importance dans le discours public, c’est ça que ça donne. »

« Le maire de Montréal a lancé que nous sommes tous de nouveaux arrivants, et ça, c’est aussi symptomatique de quelque chose, ajoute-t-elle. Bien sûr qu’il y avait des autochtones ici, mais on a quand même fondé Montréal ! »

Au-delà de la loi

Au-delà de la loi, les entreprises ont tout intérêt à montrer un visage plus français, croit Patrick Taillon, professeur de droit à l’Université Laval. Il cite le cas de Loblaw, qui a jugé bon d’embaucher Louis-José Houde comme porte-parole « et de revenir au nom Provigo, qui fait plus français même si ce n’est pas un mot » !

L’échec de Target au Québec est certes multifactoriel, poursuit-il, il n’est pas lié uniquement aux questions linguistiques, mais il reste que l’entreprise n’avait pas de porte-parole local, fait observer M. Taillon. Quant à Walmart, « ses publicités de “madame contente” qui parlait avec un gros accent québécois pouvaient nous sembler maladroites, mais Walmart réussissait néanmoins à nous passer le message que l’entreprise nous ressemble ».

La loi 101 dont rêvait Curzi

À temps perdu, quand il est devenu député indépendant, Pierre Curzi raconte avoir réécrit la loi 101. « Ça dort sur une tablette quelque part ! », lance l’ex-politicien, qui se dit conscient d’être l’un des derniers Gaulois. S’il y a apaisement et si les questions linguistiques ne sont plus à l’ordre du jour, « c’est parce qu’on a baissé les bras », se désole-t-il.

L’Office de la langue française a été tellement attaqué, tellement accusé de « jouer à la “police de la langue”, certaines de ses décisions ont suscité des attaques tellement virulentes qu’il n’assume plus son rôle. Plus personne ne veut toucher à la langue et ça ne suscite plus la passion des francophones », dit M. Curzi.

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