AFFICHAGE

Une langue qui se fait toute petite

American Eagle Outfitters. Victoria’s Secret. Authentic Fossil. Urban Outfitters. Foot Locker – The House of Hoops. Entre la rue Guy et le Quartier des spectacles, le français se fait petit, tout discret.

À l’angle des rues Sainte-Catherine et McGill, l’enseigne Urban Behavior s’affiche en lettres géantes. Dans son voisinage immédiat se trouvent Foot Locker – The House of Hoops, Kiehl’s, Banana Republic, Gap et Old Navy.

À l’intersection de la rue de la Montagne, cela se passe beaucoup en anglais aussi. Forever 21 a pour voisins Authentic Fossil et The North Face.

Dès lors qu’il s’agit de grosses chaînes, l’affiche est souvent énorme, et en anglais seulement. Les plus petits magasins (les magasins de souvenirs et les débits de tabac, par exemple) s’affichent, eux, en français… mais souvent en plus petit.

Voit-on du français, tout de même, rue Sainte-Catherine ? Oui, dans les vitrines. L’affichage des soldes et des heures d’ouverture, par exemple, se fait de façon très prédominante en français. C’est la loi, et c’est largement respecté.

Mais c’est pour les marques de commerce, pour lesquelles il est plus difficile pour Québec de légiférer, que c’est nettement plus compliqué.

De rares, très rares grosses entreprises comme Staples (Bureau en gros au Québec), Shoppers Drug Mart (Pharmaprix) ou La Vie en Rose ont adopté une marque de commerce en français.

En 2015, huit multinationales ont obtenu gain de cause : la Charte n’autorisait pas l’Office de la langue française à contraindre les entreprises à ajouter des génériques ou des descriptifs en français à leur marque de commerce en anglais (voir autre texte).

Best Buy continue donc d’afficher sa marque de commerce en anglais seulement et en toute légalité pour l’instant, tout comme Make-up Forever – Professionnal Paris, société multinationale née en France.

Au fil des ans, certaines entreprises ont néanmoins accepté d’ajouter de petits descriptifs ou génériques.

Cela donne, par exemple, Five Guys en grosses lettres que l’on voit du trottoir en marchant, tandis que la mention « Hamburgers et frites » est écrite en petites lettres en façade, encore sous le gros Five Guys.

Cela donne aussi YellowKorner en gros, et « Photographie Edition Limitée » en plus petit, ou alors Canada Goose Arctic Program en caractères imposants, avec la mention en plus petits caractères « fabriqués fièrement au Canada depuis 1952 ». Newlook s’affiche aussi en grosses lettres, avec la mention en plus petits caractères « lunetterie » en dessous. Cela donne aussi la boutique City Styles.

Minoritaire

En chiffres, ça ressemble à quoi ? Notre décompte sans prétention des marques de commerce rue Sainte-Catherine entre Guy et De Bleury nous donne le résultat suivant : en faisant abstraction des très nombreuses entreprises qui ont opté pour un nom propre, de simples lettres (HMV, par exemple) ou un symbole (la pomme d’Apple), la majorité des autres marques de commerce (73) ne s’affichent qu’en anglais ou en anglais avec une petite mention en français ; 56 sociétés ont un nom en français ; enfin, 4 ont adopté une marque de commerce tout à fait bilingue.

« Ce que l’on voit rue Sainte-Catherine  ne reflète certainement pas la volonté de Camille Laurin [le père de la loi 101] de faire du français la langue de l’espace public au Québec. »

— Éric Bouchard, porte-parole du Mouvement Québec français

Pour lui, l’ajout de génériques et de descriptifs, qui finissent en petites lettres, est un bien mince prix de consolation. « C’est comme si les Franco-Ontariens obtenaient une seule classe de 6e année en français à 70 kilomètres de chez eux. »

« Quand je suis de passage au centre-ville de Montréal, je ne peux m’empêcher, comme citoyen, d’être surpris par l’importance que prend l’anglais dans les commerces, aussi bien dans l’affichage que dans le service à la clientèle », dit pour sa part Patrick Taillon, professeur de droit à l’Université Laval spécialisé dans le droit constitutionnel et les questions linguistiques.

Il n’a pas été possible d’obtenir une entrevue avec Robert Vézina, président-directeur général de l’Office québécois de la langue française. Le maire de Montréal, Denis Coderre, n’a pas souhaité faire de commentaire avant la publication de l’article.

Une anglo déçue

Sue Montgomery, qui a travaillé pendant une trentaine d’années à The Gazette et qui entend se présenter sous la bannière de Projet Montréal aux prochaines élections municipales, trouve tout cela bien dommage. « Je suis partie de l’Ontario pour habiter à Montréal parce que je préfère habiter une ville francophone. Je pense cependant que ce n’est plus tant une question linguistique qu’économique et que ça dépasse largement nos frontières. Les grosses enseignes américaines sont partout, et à Paris, le problème est sans doute le même qu’ici. »

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