Faits de plastique numéro 6, les boîtes à sushis, les barquettes à viande, les couvercles à café et les panneaux d’isolation rose peuvent tous être dissous et redevenir du plastique de qualité en seulement 45 minutes. C’est la solution de recyclage « unique au monde » que propose la première usine de Polystyvert inaugurée hier à Anjou.
Située rue de l’Innovation, l’usine de la PME montréalaise n’aurait pu trouver meilleure adresse dans le quartier industriel. Sa technologie de recyclage par dissolution dans l’huile n’existe nulle part ailleurs sur la planète, assure sa fondatrice et chef de la direction, Solenne Brouard Gaillot, qui a obtenu un brevet.
Construite au coût de 5 millions, l’usine de Polystyvert en est une « de démonstration », c’est-à-dire qu’elle sert essentiellement à prouver à d’éventuels clients que la technologie fonctionne. Sa capacité est assez modeste, soit 125 kg par heure, ou 600 tonnes par an.
Les Montréalais ne peuvent donc pas commencer dès aujourd’hui à mettre leur polystyrène dans le bac vert. Aussi appelé plastique numéro 6, ce matériau est actuellement recyclé dans un petit nombre seulement de municipalités au Québec, dont Matane, Bécancour, Québec et Rimouski, selon Recyc-Québec.
Trois sortes de plastique no 6
• Expansé (ex. : protection de télévision, de matériel fragile. Blanc, propre, facile à recycler)
• Extrudé (ex. : barquette de produits alimentaires)
• Rigide (ex. : yogourt en portion individuelle, boîte de CD, boîte de croissants)
* Source : Recyc-Québec
Solenne Brouard Gaillot espère qu’il y aura bientôt une grande usine à Montréal. Entre-temps, ses installations recycleront du plastique obtenu auprès d’entreprises qui utilisent un bac de recyclage bien spécial : il contient de l’huile essentielle, et le numéro 6 qu’on y dépose se dissout en moins de 10 secondes. Quand le bac est saturé, Polystyvert le récupère pour en extraire le plastique.
« Pour les entreprises, c’est plus écologique et c’est moins cher que de tout mettre aux vidanges », fait valoir la femme d’affaires en rappelant qu’il y a des frais liés à la gestion des conteneurs par des entreprises privées.
« On passe au 5e R »
Pour le président du conseil d’administration, Louis Rail, il ne fait aucun doute que Polystyvert « a su relever un défi international » en inventant une « technologie révolutionnaire ». « Après l’ère des 4 R (Réduire, Réparer, Recycler, Réutiliser), on passe au 5e R avec la régénération du polystyrène post-consommation », a-t-il dit lors de l’inauguration qui a réuni de nombreux investisseurs et acteurs de l’industrie du plastique.
La « résilience et la détermination » de Solenne Brouard Gaillot, qui travaille sur l’idée depuis 2011, ont été saluées par Andrée-Lise Méthot, fondatrice et associée directeure chez Cycle Capital Management, qui a investi dans le projet. « Solenne, tu fais partie des 5 % de CEO féminines dans les start-up ! »
Cinq questions à Solenne Brouard Gaillot
Allez-vous construire une usine à Montréal ?
On veut faire une usine à pleine échelle à Montréal pour récupérer le polystyrène post-consommation, c’est-à-dire les déchets des ménages et celui des usines, car il y en a beaucoup. On a des partenaires qui pourraient nous aider à construire cette grosse usine à Montréal.
Et ailleurs dans le monde ?
Notre modèle d’affaires est de vendre des licences, donc de vendre le concept, pour qu’il y ait d’autres usines de recyclage de polystyrène qui s’implantent en Californie, au Texas, en Europe, etc. Pour Montréal, c’est particulier. Vu qu’on vient d’ici, on aimerait ça qu’il y ait une grosse usine ici et on a beaucoup de partenaires locaux.
Le procédé à base d’huile essentielle a presque l’air trop simple. Personne d’autre dans le monde n’y avait pensé avant vous ?
Si, plein de gens y ont pensé. Mais la difficulté, c’est la séparation (de l’huile, qui agit comme solvant, et du polystyrène), car il faut tout enlever. Il faut le faire parfaitement. Y a plein de gens qui ont essayé, et il restait toujours une petite partie dedans. Et le moindrement qu’il reste du solvant dans le polystyrène, ça impacte ses propriétés mécaniques et on ne peut pas refaire des produits avec. L’autre chose, c’est d’enlever les contaminants. Dans la vraie vie, dans une barquette de poisson, il y a du sang, des écailles, une étiquette et de l’encre dans l’étiquette. On a développé un procédé pour enlever toutes ces saletés.
Qu’avez-vous fait breveter au juste ?
Le mécanisme de séparation. C’est ce qu’on a décrit dans le brevet et même là, on ne dit pas tout ! Il y a une partie de know-how qui reste en dehors. Et on a une deuxième demande de brevet en cours pour le système de purification qui est très important, car il faut avoir une excellente qualité, une pureté parfaite. C’est ce qui permet de créer une économie circulaire. Si on obtenait un produit recyclé so-so, on ne pourrait pas tout faire avec.
Votre huile essentielle, elle vient d’où ?
Le Cymène, un sous-produit du bois qui pourrait éventuellement être fabriqué au Canada. Actuellement, il y a des producteurs, mais leurs quantités sont trop petites. On travaille avec eux pour qu’ils puissent nous approvisionner. Présentement, ça vient de Chine. Ça sert à parfumer les cosmétiques, dont les rouges à lèvres et certains aliments. Il n’y a pas beaucoup d’autres applications, c’est pourquoi il s’en produit peu. On l’a choisi car il est sécuritaire, facile à séparer et que ça dissout vite le polystyrène. Cette huile est tellement sécuritaire que l’Agence d’inspection des aliments (ACIA) nous a autorisé à mettre ça dans une usine de poisson. Si quelques PPM devaient se déposer sur le poisson, ce ne serait pas grave.
Les principaux investisseurs dans Polystyvert
Anges Québec
Anges Québec Capital
Banque Royale du Canada BDC
Cycle Capital Management
Développement économique Canada
Ecofuel
Energy Foundry
Investissements Quadriam (famille Saputo)
Technologies du développement durable Canada
Transition énergétique Québec